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Une éducation 100% positive ?

édit janv. 2023 : il me semble important de préciser que cet article a plus de deux ans et ne reflète plus exactement mes pensées sur la question. La thématique a été ré-examinée et rédigée de nouveau pour la réédition à venir du livre publié en décembre 2021. Le développement et la conclusion sont bien différents de ce que vous trouverez dans cette version dont certains aspects me dérangent, à présent.

     Soyons clair, je ne suis pas pour une éducation 100% positive, ni personnellement, ni en tant qu'éducatrice. Si vous me connaissez un peu, vous savez cependant que je suis loin d'enseigner les choses de manière forcée et/ou violente. Parce que je suis, en revanche, à 100% pour une éducation des futures demandes à maîtriser en positif : on ne manipule pas le chien, on ne le contraint pas, on le soumet encore moins ; on le pousse à réfléchir et à trouver la solution (le comportement que nous souhaitons), solution que nous rendrons intéressante et sur laquelle nous mettrons éventuellement un mot qui, au fur et à mesure, sera associé et assimilé.

     Mais je ne suis pas contre le « non » (sous une certaine forme).

     Je ne suis pas contre un haussement de ton (quand il est à propos).

     Je ne suis pas contre la punition en soi, ou même contre la frustration (sous certaines formes).

 

A quoi bon ?!

    Que ce soit pour mes chiens et les vôtres, je pense qu'il faut tendre vers le plus de positivité possible dans les apprentissages, de manière à créer une attache solide mais douce entre l'humain et son chien. Cette relation se construit tous les jours, depuis le moment où vous ramenez la petite boule de poils chez vous et lui laissez le temps de prendre ses marques, jusqu'au jour où il vous quittera (et non pas l'inverse, j'espère). Cette relation prendra de l'ampleur et tout son sens au travers des exercices que vous enseignerez avec patience et plaisir, dans les jeux et les séances câlins que vous partagerez, mais aussi simplement en prenant l'habitude de sortir votre chien aussi longtemps qu'il en a besoin tout en le laissant gambader, s'arrêter, renifler comme il l'entend.

     Mais je ne suis pas contre le « non » ou, plus exactement : contre une interdiction ouvertement formulée.

     Et ce, pour plusieurs raisons :

  • la première est pratique, c'est une limite humaine : il me semble que la majorité des propriétaires n'est pas assez patiente pour s'interdire l'emploi de ce mot et tâcher de rediriger positivement tous les comportements dérangeants du chien. C'est plus ou moins valable : certains souhaiteront se creuser la tête beaucoup plus, n'useront donc du « non » qu'en de très rares occasions, tandis que pour d'autres, qui auront moins de temps pour cela par exemple ou parce que c'est leur nature, le « non » s'imposera facilement – voire trop facilement. Et il faut avouer que la plupart des personnes se glissent dans la seconde catégorie. Donc en tant qu'éducatrice, je me dois de temporiser ces personnes, de leur proposer des solutions alternatives pour un très grand nombre de cas, de leur enseigner qu'un « non » dont on abuse perd de toute façon en force et en sens pour le chien. Mais je ne me vois pas tenter d'imposer quelque chose qui ne sera pas respecté sur le long terme. Ce serait nuire au chien, car l'humain ferait probablement quelques efforts au début puis se ferait vite rattraper par ses habitudes et il n'y aurait plus de cohérence pour qui que ce soit. Mais en aucun cas, « non » devrait être une sanction.

  • La deuxième, c'est que le 100% positif est a priori idyllique mais aussi un peu utopique, de part la nature humaine que j'évoquais juste avant, mais aussi parce qu'il existe des cas, des individus, pour qui la redirection de comportements serait infinie et donc improductive. Il suffit que le chien soit un peu ingénieux et obstiné – comme un terrier de base ^^ – et l'on n'en sort pas. Admettons qu'un chien ait pris l'habitude de vider la poubelle ; il s'est auto-récompensé en y trouvant de bons restes alors il recommence dès que possible. On peut mettre la poubelle en hauteur dans un premier temps, mais si le chien arrive à sauter/monter pour la renverser quand même ? On peut la mettre dans un placard, mais si finalement il arrive aussi à l'ouvrir ? Vous penserez peut-être que mon argument est tiré par les cheveux mais sachez que j'ai connu une jack qui parvenait à faire glisser une porte coulissante de presque trois mètres de haut, malgré leur poids respectif, pour atteindre un saut de croquettes qui était derrière et qu'elle ouvrait également dans l'idée de se faire un petit festin... Bon, pas dans le placard, dans une autre pièce, peut-être, derrière une porte fermée ? Le chien peut également apprendre sans mal à ouvrir en utilisant la poignée, avec un peu de patience. Voilà que l'humain doit alors ranger sa poubelle dans une autre pièce fermée à clé, ou dans cette même pièce mais à condition de cadenasser un placard, ou bien de mettre sa poubelle au dessus d'un meuble que le chien ne peut atteindre ! C'est d'un pratique... Il aurait clairement été beaucoup plus simple et rapide d'apprendre au chien à ne pas toucher cette poubelle, pourquoi pas tout en positif par le biais d'un apprentissage solide du "tu laisses", ou bien en employant à la fois un « non » neutre quand il approche son nez du sac et en le récompensant avec un met qu'il adore quand il choisit de l'ignorer naturellement, pour lui montrer l'intérêt qu'il a à ne pas convoiter cette poubelle. Je ne pense pas que le chien aurait trouvé à redire sur la méthode, en plus. Ce à quoi je veux en venir finalement, c'est que l'environnement humain devrait être évidemment en partie modulé pour faciliter les apprentissages (en rangeant les affaires tentantes pour les petits crocs du chiot, par exemple) mais que de proposer une solution qui évite le problème au lieu de le résoudre ne me convient pas dans mon approche éducative.

  • La troisième raison est encore plus personnelle. Je crois sincèrement que le « non », ou plus exactement, les limites qu'on impose clairement, non seulement font de vous un leader plus crédible (car après tout, il y a aussi des règles et des sanctions qui tombent dans un groupe de chiens), mais aussi aide votre animal à se structurer. Comme c'est le cas avec un enfant, je pense (vous vous voyez apprendre au vôtre qu'on ne dessine pas sur les murs en lui apportant seulement de jolies feuilles colorées en espérant qu'il les préférera ? Et si ce n'est pas le cas ? Il vous restera la toile avec un chevalet, ce qui fonctionnera (peut-être) (un temps), mais si les murs sont toujours aussi attirants en fin de compte ? Bref !) Pour l'anecdote, non canine, je me souviens m'être occupée de jeunes enfants pendant que les parents étaient en table d'hôte chez ma grand-mère, il y a quelques années. Une petite fille blonde était absolument insupportable, avec tout le monde ; elle faisait marcher ses parents à la baguette, malmenait son grand frère et j'en passe. Eh bien, à force de la prévenir que si elle insistait, elle allait avoir des problèmes, comme elle continuait son manège, j'ai fini par lui attraper le bras et prendre un ton (sans agacement) qu'elle ne devait pas avoir connu et qui effectivement l'a surprise. Après cela, non seulement j'ai eu une paix royale, mais surtout la petite, qui jusque là ne s'était jamais intéressée à moi, a fini par vouloir venir dans mes bras faire un câlin et a refusé ceux de sa mère pour rester dans les miens tant que j'ai bien voulu d'elle ! Tout cela pour vous dire que je pense qu'avec un chien, on peut observer la même chose. Oui, ils ont besoin de personnes aimantes, bienveillantes, qui les protègent, mais aussi d'un cadre et je dirais que les chiens s'attachent d'autant mieux à une personne stricte mais juste qu'à quelqu'un de chaotique et laxiste, même si ce quelqu'un est de bonne volonté et pense faire le bien de son animal en lui laissant toutes les libertés possibles. Je pense donc que le « non », justement employé, sans en abuser, est un vrai bénéfice en éducation. Et ce n'est pas parce que je ne veux pas chercher des solutions pour trouver quelque chose de plus profitable, c'est parce que je crois que cette façon d'agir est réellement profitable.

 

Ce que devrait être le « non »

    Et si en fait le « non » n'était pas si horrible ? Si l'on en faisait quelque chose de positivement utile ? Pour moi, le « non » ne signifie pas « c'est mal arrête ! » mais bien « ce n'est pas le bon choix que tu fais (cherche une autre piste) ». Je pense qu'utilisé de cette façon, le « non » ouvre des portes et affine des concepts, parce qu'il cible des apprentissages. Pour certains, je crois même qu'il est un passage obligé.

Ex : je voudrais apprendre à mon chien à rester sur le trottoir en balade. Si je choisis de ne jamais employer le « non », je vais simplement le rappeler quand il en descend (car cela arrive forcément au début) et le récompenser quand il remonte. Avec le temps, le chien va assimiler qu'il est plus intéressant pour lui de marcher sur le trottoir et donc reproduire ce comportement. Mais quand est-ce que je lui aurai appris que je ne veux pas qu'il en descende de lui-même finalement ? Jamais. Avec cette méthode, mon chien aura toujours la possibilité de choisir que la route, à un moment donné, est préférable, à cause d'un chat de l'autre côté, d'un chien, d'un enfant qui court, allez savoir. J'aurai favorisé le trottoir, mais pas interdit la route. Si en revanche je couple mes récompenses quand il remonte sur le trottoir avec des petits « non » quand il en descend, je fais d'une pierre deux coups. Et ce n'est pas pour autant que j'aurai sanctionné mon chien.

 

      Je ne suis pas contre un haussement de ton, quand il est à propos.

      Je ne suis pas contre la punition en soi (celle qui ne crée pas de douleur, bien sûr, et tant que le chien est émotionnellement capable de la comprendre), ou même contre la frustration.

     Dans leur vie de canidés, entre chiens, ils se font réprimander, surtout les jeunes ; c'est tout simplement l'école de la vie. Ils doivent supporter des caractères plus forts qu'eux, se positionner, apprendre ce qu'on peut faire ou pas, avec qui, et ce n'est pas toujours dans la douceur. Ils connaissent la frustration, comme celle de devoir regarder un congénère qui rogne quelque chose auquel ils n'ont pas accès, voire même celle de se faire voler leur friandise ou jouet sans pouvoir le/la récupérer. C'est une vie normale que l'humain comme le chien mènent au travers d'expériences enrichissantes, décevantes, frustrantes etc. Les préserver de tout, faire d'eux des « enfants gâtés », ne me semble pas souhaitable pour la gestion des interactions dans la famille ou avec d'autres personnes et animaux.

     /!\ Le discours reste naturellement adaptable aux individus. Si vous venez de sortir de refuge un chien très renfermé, apeuré, ayant potentiellement été malmené, il est évident qu'on évitera d'employer un mot qui a sûrement une connotation extrêmement négative pour lui, puisqu'on cherche avant tout à instaurer une relation de confiance et de respect mutuel. De même, un chiot ou chien très haut en excitation ne saura gérer aucune frustration déclarée ouvertement et, avec ce type de chien, les barrières vocales sont totalement contre-productives (elles montent le chien en tension et/ou ne l'incitent pas à réfléchir pour chercher comment agir d'une façon plus adaptée).

 

     J'admire quelque part ceux qui ont pour objectif d'être dans le strict positif à tout instant, prêt à parer à toute éventualité, avec une liste d'astuces interminables à vous proposer. J'admire leur dévouement et plus encore leur patience. Mais ce n'est pas pour moi – j'ai mes raisons. Ce n'est peut-être pas pour vous non plus – il se peut que vous ayez les mêmes, ou d'autres. Et je ne crois pas que ce soit dramatique ; ce n'est pas parce qu'il peut nous arriver d'élever la voix que cela fait de nous des bourreaux dignes de la vieille école d'éducation coercitive. Après tout, "mon" éducation cherche avant tout à tenir compte de l'état émotionnel du chien, mais l'humain aussi peut avoir des débordements, des ingérances, même si c'est regrettable.

     Le « non », ce n'est pas mal. Ça ne fait pas (forcément) de mal. Il faut simplement savoir quel sens il recouvre, apprendre à le doser et tâcher de se limiter un maximum dans son emploi pour éduquer avec le plus de positivité possible.

     En tant qu'éducatrice cependant, je vous le déconseille souvent en rééducation, car il y a bien souvent des façons de faire bien plus intelligentes et ludiques, voire efficaces, pour gérer les situations problématiques. C'est aussi que l'humain a du mal à ne pas dire « non » sans faire ressentir une pression grandissante, un certain agacement, alors qu'il faudrait réellement rester neutre, donner une banale information : « ce n'est pas ce que j'attendais, loulou/le jeu est perdu/finies les friandises sur cette séquence. »

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