"Si mon terrier a le droit de creuser, mon berger a le droit de courir !"
Quand on consulte quelqu’un pour se faire aider avec son chiot ou son chien, une des priorités du « coach » sera normalement d’informer sur les besoins du chien en tant qu’espèce puis individu. Aucune rééducation ne devrait commencer avec un animal qu’on néglige ou qu’on ne considère pas pour ce qu’il est, consciemment ou pas.
De ce fait, l’éducateur pourra expliquer : « c’est un terrier ; creuser fait partie de lui. Si vous ne voulez pas qu’il vous ruine le terrain, il va falloir lui permettre de creuser dans des zones où le comportement normal de ce chien ne dérange pas, peut-être dans un champ en balade ou bien dans une partie de terrain dédiée ».
Ainsi que « c’est un chien de chasse ; il est sélectionné pour être actif et endurant, en suivant une trace, nez au vent ou au sol. Il a besoin de courir et/ou pister. Si l’on ne souhaite pas que ces comportements s’expriment n’importe quand et à tout bout de champ, en plus du travail autour du calme, il va falloir permettre à ce chien de les exprimer dans des situations encadrées, comme du mantrailing, du questage et/ou du canicross, selon son besoin réel et ses goûts ».
Ou bien « c’est un retriever : il a été créé pour prendre en gueule et tenir, sans trop de pression. Il aime donc prendre des objets et parader avec. Si on ne souhaite pas qu’il se promène avec nos chaussures ou torchons, il va falloir lui permettre de prendre et tenir des choses qui ne posent pas problème, comme des jouets ou mastications laissés à disposition. Bien entendu, dans le jeune âge de ce chien, tout ce qui pourrait attirer ses prises en gueule inadaptées sera placé hors d’accès. »
Et ainsi de suite.
On explique la génétique, les patrons moteurs, les motivations intrinsèques, le besoin inhérent à un « type » de chiens, bien que des exceptions individuelles existent.
Et, bizarrement, quand on en vient à parler du chien de berger, le discours va parfois changer : « Il ne faut surtout pas jouer avec lui et le faire poursuivre. On va renforcer sa motivation et son instinct de prédation. On risque de le rendre accroc, complètement drogué, incapable de se poser, peut-être même dangereux dans ses interactions. On augmente clairement sa réactivité en le laissant courir derrière une balle. On stresse son organisme qui va générer trop souvent de l’adrénaline puis du cortisol, etc. »
Pour moi, cela n’a pas de sens de dire qu’un chien de chasse doit pouvoir chasser - ou trouver un exutoire à la chaîne de comportements liée à la chasse - et d’affirmer en même temps que le chien de berger, lui, ne doit pas faire ce pourquoi il a été sélectionné, à savoir poursuivre, contrôler, capturer.
Soit on admet qu’un comportement est présent, instinctif et qu’on doit composer avec, c’est à dire trouver un moyen pour qu’il s’exprime sans qu’il ne prenne trop de place dans la vie du chien et de sa famille, soit on décrète que tout comportement qui s’impose génétiquement doit être bridé pour éviter qu’il ne se renforce avec l’expérience.
Parce que oui, quand je permets à mon russell de creuser, son comportement, plaisant et parfois payant, au gré d’une capture, est valorisé et risque de se reproduire.
Oui, quand mon golden parade avec son doudou devant les invités qui lui sourient voire le flattent, son comportement se renforce.
Oui, quand je lâche mon braque dans une immense zone sécurisée avec tout le temps qu’il faut devant nous, son comportement de quête gagne en fréquence et en puissance.
Donc oui, quand j’autorise mon berger à poursuivre une balle ou à tirer sur un tug que j’agitais sous son nez, son comportement se renforce, lui aussi.
Alors on évite tout ça, pour toutes les races ?
Non. Parce que si l’on considère que le chien qui exprime de tels comportements le fait par besoin/instinct et non pas juste par goût, la question n’est plus « est-ce que je dois l’empêcher de produire le comportement ? » mais « qu’est-ce que je peux mettre en œuvre pour que le comportement s’exprime d’une façon qui va rester gérable, de manière à ce que moi et mon chien vivions bien ensemble ? »
Et là, on peut vite se rendre compte que les possibilités sont assez limitées, pour accompagner son chien de berger :
➡️ Soit je fais travailler mon chien dans la tâche qui est censé être la sienne : j’emmène mon border ou mon hollandais au troupeau, mon malinois en activité d’obéissance et de mordant. Rien que cela implique : de trouver une structure en accord avec nos valeurs éducatives (bon courage si vous êtes dans un courant positif !!!), d’avoir le temps et la volonté de s’y tenir très régulièrement sur le long terme – parce qu’un besoin ne disparaît pas -, d’accepter d’être dépendant d’une structure et d’autres personnes/êtres vivants pour que mon chien puisse être satisfait. (Et pour le troupeau : d’en avoir rien à faire que les compétences, parfois très relatives, de mon chien se répercutent sur des moutons utilisés, apeurés/fatigués, sans visée utilitaire ultérieure, juste pour le plaisir de mon poilu).
➡️ Soit je pars du principe que je peux répondre à ce besoin par des contacts sociaux prévus en ce sens : je trouve pour mon chien un ou des individus qui accepteront de jouer d’une manière qui lui plaît sans se sentir gênés d’être poursuivis, potentiellement attrapés au cou/harnais voire plaqués. Là aussi, on peut se souhaiter bien de la chance, parce que des poilus suffisamment sûrs d’eux et endurants dans ce type de jeu, il n’y en a pas tant que ça. Pour peu qu’on vive avec un gros gabarit de poilu, c’est encore plus délicat. Sans compter qu’un petit jeu de ce type une fois par semaine ne remplira pas forcément la jauge de mon chien de berger et, à l’inverse, s’il a trop souvent des contacts de ce genre, il pourra devenir assez mauvais communicant, harceleur et peu respectueux d’autrui, au point de ne pas être capable de côtoyer un autre chien calmement, malgré un danger potentiel. Veut-on vraiment prendre ce risque ?
➡️ Soit je lui permets d’exprimer ce type de comportements en pleine nature, sur du gibier, ce qui cette fois implique : d’avoir un lieu facilement accessible propice à « l’activité », d’être en accord avec le fait de laisser son chien persécuter des animaux sauvages qui, eux, sont chez eux, et accessoirement de savoir que je motive l’instinct de chasse de mon chien, qui, à l’origine, n’est pas fait pour ça – sa séquence de prédation est censée être et restée incomplète, très contrôlée.
➡️ Soit… je décide de prévoir des sessions de balles et/ou frisbee. Je pose des règles autour de cette activité qui va aussi motiver l’attention et la gestion émotionnelle, si je pratique correctement : échauffement du corps avant l’effort, accès au jouet sur comportements calmes, pauses régulières, vérification de la disponibilité intellectuelle, régulation en durée/fréquence, apprentissages éventuels calés au milieu etc. Dans cette seule activité, qui ne me fait dépendre de personne, je fais en sorte que mon chien puisse satisfaire ses besoins tout en gardant un certain contrôle sur ses comportements.
Au bon dosage, avec les bons apprentissages, mon chien ne "vrille" pas : il a une vie de chien tout à fait normale. Il renifle en balade, ne persécute pas ses congénères, reste intelligent dans sa communication, se repose sans problème, ne harcèle pas l'humain pour jouer ou avoir des interactions. Parce que ses besoins sont comblés, il est "juste" un chien que sa génétique prédispose à être plus actif et réactif que la moyenne.
Ce n’est que mon avis et il n’engage que moi, mais je trouve qu’il y a trop de personnes pour crier au scandale face au jeu de balles/de lancers, alors que c’est clairement le moyen le plus simple et le plus sécure de répondre au besoin de poursuite, contrôle et capture du chien de berger. Sous conditions, bien sûr. Jouer bêtement 30min par jour avec un chien qui vient de sortir du canap quand on rentre du boulot, c’est non !
Si mon jack a le droit de creuser, mon husky de tracter, mon golden de porter, mon doberman de garder, mon beagle de pister, alors mon berger a le droit de poursuivre !
Freed Dogs
Publication Facebook du 12 mars 2024