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Sangha : le récit d’un choix

rationnel et objectif

     Il m’arrive d’accompagner des personnes ayant choisi leur chiot sur photos, après une simple discussion par mails ou téléphone avec l’éleveur. D’autres familles se sont rendues sur place une fois et on fait leur choix sur un coup de cœur, un feeling de l’instant, pourtant noyées au milieu de tous les chiots.

     C’est quelque chose dont je suis bien incapable. C’est surtout un pari plutôt risqué, en règle générale.

    Un coup de cœur est souvent physique, même quand on se déplace voir le chiot. Question de sexe, de robe, de couleur d’yeux, d’un gabarit qui attirent. Si elle n’est pas basée sur des critères physionomiques plus ou moins conscients, la décision se porte alors sur la personnalité qu’on croit observer à un moment donné.

     Dans les deux cas, le futur adoptant a peu de chances de faire un choix réellement éclairé. S’il s’en sort bien après une sélection sur photos, c’est un vrai gros veinard ! Si ce qu’il a vu du chiot sur place en terme de tempérament se vérifie une fois dans son nouveau foyer, il a lui aussi de la chance, parce que ce qu’on voit d’un petit bout à 4, 5 ou 6 semaines, ce qu’on observe, alors que tous les chiots sont ensemble sur une ou deux heures de temps, n’est pas nécessairement représentatif de la réalité.

     Pour comprendre tous les tenants et les aboutissants de l’article, je vous propose de retracer le parcours de mon propre choix au sujet de Sangha, berger hollandais issu de l’élevage familial de l’Orée du Roc.

 

Le choix du berger hollandais

     Pourquoi un berger ? A vrai dire, le jack russell reste ma race idéale. J’aime son caractère de petit clown conquérant et ai pris goût à son gabarit. Néanmoins, ne vivre qu’avec des petits chiens quand mon travail est en partie de réhabiliter d’autres poilus dans la communication intraspécifique est handicapant, car les petits sont à la fois plus faciles à gérer pour certaines personnalités, beaucoup plus durs pour d’autres, peuvent n’être vus que comme dans des proies et sont moins bien respectés dans leur signaux par des individus plus grands - qui partent fréquemment du principe qu’ils ne risquent pas grand-chose à s’imposer.

     Je souhaitais pourtant un gabarit plus léger que mes chiennes format golden, tout en retrouvant la motivation de Guenji (x beauceron) dans le sport. Le chien de berger était donc assez indiqué, même si son émotionnel souvent intense pouvait être un frein possible à notre cohabitation.

     Pourquoi hollandais ? Sur ce point, il ne faut pas se voiler la face, le physique compte énormément. Pour ma part, j’avais craqué sur l’athlétisme de ce chien lupoïde dont la robe bringée le rendait (à mes yeux) plus séduisant que le malinois – qui, par ailleurs, est devenu trop commun, avec toutes les dérives que cela peut impliquer lorsqu’il s’agit de rechercher un élevage sérieux et qui ne sélectionne pas pour la pratique du mordant. Le hollandais m'a semblé être un bon compromis entre le caractère plutôt prononcé du berger belge et la sensibilité souvent exacerbée du border collie.

 

Mâle ou femelle ?

     J’estime que c’est une question assez personnelle. Je connais autant de personnes qui préfèrent les femelles que de personnes qui ne jurent que par les mâles. Les deux ont des avantages objectifs comme le fait de ne pas subir les chaleurs pour le mâle ou le fait de ne pas avoir à gérer le pic de testostérone à l’adolescence chez la femelle.

      Pour ma part, historiquement, la mère de ma mère n’a toujours eu que des femelles chez elle et ma mère a suivi ce chemin avec nos chiennes Myrtille, Vénus puis Djuna. J’ai moi-même continué sur cette route en gardant Guenji, chiot de Djuna née il y a douze ans, puis en accueillant Nagg, six ans plus tard. Ce sont des choix qui se sont faits souvent malgré moi, Djun étant le dernier chiot disponible de son élevage et Guenji étant née fille unique. J’ai en revanche choisi le sexe de Nagg dans un objectif de disponibilité au travail, les femelles étant moins naturellement portées sur les odeurs et la drague, plus constante dans leur investissement, si on les implique efficacement dans l’activité.

      Pour ce chiot, étant donné que mes critères de tempérament étaient déjà ciblés (plus encore qu’avec Nagg), je ne voulais pas me fermer dans un genre. J’ai donc réservé une femelle en précisant que je n’étais pas fermée à l’idée d’adopter un petit gars.

 

     Une autre question importait cependant : l’entente avec mes autres chiennes. Aujourd’hui, Djuna, Nagg et Guenji ont de bons rapports. Elles ne sont pas fusionnelles mais s’acceptent et cohabitent en paix. Guenji et Nagg ont même une relation assez privilégiée dans le sens où elles tolèrent l’une de l’autre des choses qui leur vaudrait de sévères remontrances, si elle n’avait pas ce lien. Par exemple, Nagg peut s’immiscer pendant un câlin entre Guenji et moi, lui lécher les yeux et les oreilles. Guenji peut elle aussi venir se joindre à un moment de complicité tactile entre sa sœur et moi et elle n’est pas chargée par Nagg si elle lui marche dessus par mégarde. Pourtant, les deux sont assez exclusives et grognent facilement quand on rentre dans leur bulle alors qu’elles sont auprès de moi ou occupées à une tâche. Elles mangent des friandises même hautement appétentes côte à côte alors qu’elles les défendent face à d’autres chiens. C’est aussi valable pour les jouets qu’elles partagent, en tirant toutes les deux, Guenji dosant ses mouvements, sans accepter qu’un autre congénère s’approche d’elles et du jouet. Djuna, très vieille mamie désormais, est un peu exclue de cette relation et elle est tolérée plus qu’appréciée, à cause de ses soucis d’audition et de son agitation intermittente (elle a des problèmes cérébraux qui créent des absences et des crises d’épilepsie).

     Guenji et Nagg sont des chiennes qui sont curieuses des chiens doux en balade, mais passent vite leur chemin. Le peu de chiens qui sont des « amis » sont des mâles terriers ou bergers. C’est aussi pour cela que je me devais de rester ouverte à l’idée d’un garçon au sein de notre famille ; les tensions seraient certainement bien moindres, l’adolescence du chiot venue.

     Le problème en adoptant un mâle risquait d’être lié à notre environnement de vie. Notre maison est située sur une route rurale de plus de deux kilomètres. On peut compter 13 maisons tout du long logeant 17 chiens, dont au moins 7 femelles entières, dont 3 souvent en liberté dans la rue près des fermes à moins de 400m chacune, dont 2 qui viennent jusqu’à la maison, dont 1 qui s’invite carrément dans le jardin de temps en temps. Si jamais le mâle adopté devait être assez sensible aux chaleurs des femelles – c’est variable d’un chien à l’autre, certains pouvant vivre avec une ou des femelles en œstrus sans vraiment s’y intéresser -, la situation pourrait rapidement devenir une plaie à gérer.

     Ces deux derniers points pesant aussi lourds l’un que l’autre dans la balance à mes yeux, le caractère du chiot devait trancher sur la question.

 

La sélection de l’élevage d’Angélique

    J’ai cherché tous les élevages de France référencés concernant la race. Un premier nettoyage s’est fait rapidement : sites incomplets/jamais mis à jour, gros élevages de plusieurs races, choix de géniteurs pratiquant exclusivement le mordant, tests des petits au mordant avant leur départ, dont certains avec coups de feux, provocation à la serpillière etc : à dégager. Le sujet n'est pas l'éthique ici, mais bien mon besoin propre, incompatible avec ces choix d'élevage.

     Ma priorité était toute simple : des parents stables, de bons chiens de famille à l’aise en maison. L’Orée du Roc avait le gros avantage d’avoir le père et la mère sur place, deux chiens pratiquant l’agility et vivant à l’intérieur avec une puis deux teckels, puis un bébé cocker, auprès d’un bébé humain. Un autre élevage appelé m’avait vanté la stabilité du père, Iro, ce que m’avait confirmé Angélique au téléphone, plus d’un an de demi avant la portée. Je n’ai pas tergiversé longtemps avant de décider que je prendrai un chiot de ce mâle et de (Night) Fly. Le feeling était bien passé durant ce long appel avec leur propriétaire. Nous devions nous rencontrer pendant la gestation de la chienne, mais j’ai été malade comme rarement au moment de devoir faire la route, ce qui a repoussé ma visite.

     Si Angélique n’avait pas dit oui à toutes mes idées et demandes (un peu) inhabituelles, j’aurais pu m’inquiéter de ne pas avoir été sur place avant de signer pour un chiot. Mais j’avais trouvé une éleveuse passionnée et complètement impliquée, curieuse de ce que je pouvais proposer pour sélectionner un profil parmi les huit petites têtes de loups tigrés. En effet, Angélique m’a suivi quand j’ai demandé à ce qu’elle observe des comportements chez les chiots pour avoir une première idée de leur tempérament. Elle a ensuite accepté de confronter les chiots à quelques tests, protocole sous forme de tableau rédigé à l’appui. Ces « quelques tests » sont finalement devenus 14 exercices à faire passer à tous les chiots et elle a, là encore, bien voulu m’accueillir pour les superviser, puisque je devais venir rencontrer les parents au moins depuis longtemps. Une amie à elle est même venue avec son chien pour l’une des observations à effectuer. Merci encore, Laurence et Neptune !

     Bref, le cadre était apparemment idéal, considérant l'investissement d'Angélique.

     Je n’oublierai pas de mentionner mon étonnement mêlé d’admiration quand je suis arrivée avec une amie la première fois et qu’aucun chien n’a aboyé en entendant la voiture étrangère se garer. Une fois dans la maison, tous les chiens ont été lâchés sur nous, avec pour seule effusion un tout petit wouf étouffé d’un des hollandais, lequel a réveillé la meute de minis endormis qui, elle, a aboyé comme des furieux, sans que ça ne perturbe aucun autre chien. Côté stabilité, ils me collaient des étoiles dans les yeux, d’autant que les races en présence ont facilement tendance à vocaliser.

     Lors de cette longue visite, j'ai découvert un papa tellement doux et câlin, très patient avec les autres, non vindicatif. J’aurais pu lui gratter les fesses et lui bisouiller les poils du dos pendant des heures, je crois. J'ai aussi rencontré une maman très neutre, peu tactile avec nous, plutôt branchée nourriture. Un bel équilibre en perspective.

     Vraiment, je n’aurais pas pu rêver mieux.

 

La décision de prendre « Noir »

     Si j’avais cherché des parents stables, c’était pour avoir le chiot le plus stable possible émotionnellement – la génétique joue énormément sur ce plan et une maman naturellement stressée transmet en plus ses émotions négatives aux petits depuis qu’ils sont dans son ventre et pendant qu’elle les élève.

     Quoique j'y travaille, je suis moi-même émotive, passionnée et exigeante, un combo qui n’est pas toujours évident à vivre pour l’individu en face de moi. Je ne tenais pas à mettre en difficulté un animal trop sensible (pour mon caractère), ni me sentir nulle à chaque fois que j’aurais pu braquer mon chien, par manque de recul ou de tact face à un obstacle. Les tests devaient donc permettre de mettre en lumière la personnalité la moins émotive, la moins sensible aux nouveautés de l’environnement et aux difficultés rencontrées. La plus résiliente, aussi.

     A côté de ça, j’avais envie de pouvoir pratiquer le frisbee avant tout et éventuellement l’agility. Il me fallait donc un individu porté sur le jeu, de préférence. Des tests servaient donc à évaluer l’envie de tirer et de poursuivre.

     Chaque test devait faire apparaître cinq grands types de comportements, levant le voile sur des personnalités plus ou moins curieuses, à l’aise, résilientes, joueuses etc. A chaque comportement correspondait une note de -2 à +2, ce qui devait amener un score global de -27 à +27 par chiot.

      Voici la synthèse des résultats :

Résultats tests.png

      Pour information :

  • Les couleurs des tests permettent de visualiser un type de notation : comme le tableau le fait apparaître, manifester le comportement 4 pour un test vert ou un test jaune n'apporte pas le même nombre de points.

  • Les tests ont été réalisés sans collier, pour que je ne sache pas de qui il s'agissait et ne pas être influencée ; les couleurs de colliers ont été ajoutés après, dans le tableau final.

  • Les petites étoiles à côté de certains types de comportements expriment une différence notable entre l'attitude du chiot avec le testeur inconnu et avec l'éleveuse : certains chiots étaient timides avec Lauriane mais beaucoup moins avec Angélique, dans leur rapport au jeu.

  • Bien que nous ayons cherché le plus d'objectivité possible, il m'a fallu tâcher de tenir compte de quelques failles dans le système. Il est par exemple évident qu'un chiot pris dans son parc pour les tests alors qu'il dormait peut avoir besoin de plus de temps pour développer un intérêt ou une motivation. Or, certains ont été tirés de leur sommeil quand d'autres ont été ramenés après une sortie dans le jardin. Ainsi, certains exercices auraient pu être organisés différemment pour plus de perspicacité, notamment celui du suivi vers une autre pièce (qui en fait menait dehors) ou celui du rappel caché. Ce protocole étant en grande partie expérimental et non entièrement géré par moi, j'avais conscience qu'une marge d'erreur était possible.

     Il m’a donc fallu commencer à admettre que j’allais vraisemblablement avoir mon premier mâle… mais comme j’avais du mal à m’y faire, j’ai demandé à voir Noir et Rose, la femelle la mieux notée, sans leur frères et sœurs.

     J’espérais pouvoir trancher au feeling, mais je suis quelqu’un de beaucoup trop rationnel pour que l’idée ait été une réussite. J’étais en bug sur le carrelage, au milieu de deux chiots ; Rose allait et venait pour me léchouiller, Noir restait collé à moi ou plutôt fixé à mon entre-jambes de pantalon qu’il essayait de tirer… Alors, de façon plus brouillonne que ce que vous allez lire, j’ai tâché de faire du tri dans les faits pour prendre une décision sensée :

 

 

 

 

 

 

     Cela faisait déjà 4h que j’étais sur place et on attendait patiemment mon verdict.

     Si j’ai dit « je vais prendre le mâle » - à la stupéfaction générale, je pense - c’est pour deux raisons :

  • J’avais passé des heures à élaborer mon protocole et mon barème ; je venais de solliciter 3 autres personnes pour concrétiser tout ça ; alors comment ne pas aller dans le sens des résultats ?

  • Rose, aux dires d’Angélique et de ce que j’avais pu observer pendant son passage, était un vrai pot de glue à l’humain, recherchant beaucoup le contact physique. J’ai sans mal imaginé des étincelles entre mon lot de chiennes, sous quelques mois. Je regardais Ruby, fille de Iro et Fly d’une première portée, et je visualisais très bien Rose à sa place : une petite morue grogneuse qui s’infiltrait partout mais ne supportait pas de partager l’attention de l’humain, ce qui serait très dur à vivre pour Guenji et Nagg.

    

     Alors Noir est devenu Sangha. Pas dans mon cœur, pas sur place. Mais officiellement. J’étais émotionnellement trop chargée de stress et de fatigue pour ressentir autre chose, pour commencer à l’aimer ou même à l'accepter. Je n’ai même pas fait de photo – heureusement, Lauriane, si. De retour sur les routes sinueuses, j’avais les larmes aux yeux dans la voiture, rongée par la peur de m’être trompée et, surtout, terrorisée à l’idée de faire entrer un nouveau membre poilu dans notre famille. Mais quelques heures après, je réclamais la photo à mon amie et, dans la nuit, je la mettais en fond d’écran. Noir était devenu Sangha, pour de vrai.

 

     Ce récit, quelque peu cathartique, essaie de montrer le cheminement qui, selon moi, devrait conduire à un choix logique, sensé, adapté et non pas à une adoption "coup de coeur".

     Si j’avais choisi une femelle sur des critères physiques, j’aurais pris Rose.

     Si j’avais choisi un mâle sur des critères physiques, j’aurais pris Rouge (le plus « mal » noté).

     Si j’avais choisi à partir des quelques vidéos des chiots en groupe, j’aurais pris Beige*.

     Si j’avais choisi le chiot qui me semblait le plus adapté lors des tests, sans rien noter, j’aurais pris Jaune.

     Si j’avais suivi l’intuition de l’éleveuse, j’aurais pris Beige* également.

     Sans les tests et leurs résultats, je n’aurais même pas regardé Noir, avec son pelage si clair et son oreille en vrac. Je n’aurais pas vu que c’était lui, le plus enclin à renifler tranquillement un nouvel environnement, tout en restant très disponible à l’interaction. Je n’aurais pas vu que c’était lui le plus motivé dans la poursuite et le rapport, nécessaires au frisbee. Je n’aurais pas vu à quel point il se perturbait peu et récupérait vite, ni comme il était prudent sans être peureux et comme il pouvait être volontaire pour essayer de nouvelles choses.

 

J’avais envie d’une femelle la plus noire possible.

J’ai choisi un mâle, le plus clair de toute la portée.

 

     Bien sûr, tous les élevages ne mettent pas en place un système d'analyse objectif des chiots. Quand ce n'est pas le cas et quand on ne se sent pas de proposer la chose aux éleveurs, le minimum reste de faire un choix en totale conscience d'un nombre de facteurs qui vont bien au delà d'un coup de coeur. Nos besoins et envies de partage, notre rythme de vie, notre environnement proche, notre propre personnalité sont autant d'éléments qui doivent pouvoir s'accorder avec un tempérament et pas forcément avec un autre. Plusieurs visites deviennent alors nécessaires afin qu'une impression se confirme (ou non). S'il est sérieux, l'éleveur pourra lui aussi donner son avis selon ce qu'il aura vu de chaque chiot.

     Quoi qu'il arrive, engagez-vous pour une personnalité, pas pour une couleur.

* Beige était, au sein du groupe, la plus fonceuse, semblant mener la bande, sûre d’elle. C’est ce que je pensais d’elle en regardant les quelques vidéos disponibles. Mais une fois seule, les tests ont montré que la puce était finalement plus sensible à son environnement et à la nouveauté que ce que le contexte de vie habituel avait pu montrer. C’est pour cela qu’il me semble essentiel, en tant qu’éleveur et au-delà de la mise en place de tests précis, de faire des observations des chiots un par un, l’effet de groupe pouvant fausser les analyses de tempérament.

Préférence de genre

Préférence physique

Cohabitation à la maison

Environnement immédiat

Ressenti pendant les tests

Résultats des tests

Mâle

x

x

x

Femelle

x

x

x

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