top of page
cc36b9f76c5913e5897966f5661052422b712fe24dffdfd074df1e393cc9c72d.webp

(Quand) l’éducation contrôlante

nous emmène droit dans le mur

      Tulipe est une chienne croisée, ayant vécu dans un refuge pour chats après avoir été abandonnée. A cause de son calme et de ses grandes facultés sociales, elle a passé des tests pour devenir chien d’assistance, tests qu’elle a réussis. Elle a donc été dressée pour ce travail et a été adoptée par Sacha, pour l’aider à sortir, à s’ouvrir au monde et à gérer ses crises d’angoisse.

      Tulipe a été irréprochable pendant plusieurs mois. D’ailleurs, quand elle porte son harnais de travail, elle reste « parfaite ». Mais sans, Tulipe peut avoir des comportements très forts en intensité, notamment quand elle est en laisse. Elle qui sait marcher sur les trottoirs sans être attachée, elle qui ignore toutes les distractions quand elle a le harnais dédié, tire dans tous les sens et aboie quand elle voit un congénère et ne respecte aucune règle apprise sans qu'on lutte contre elle. Le fossé est d’autant plus marqué lorsqu'elle se trouve chez les parents de Sacha qui ont eux-mêmes deux chiens. Tulipe est tellement excitée dans les sorties en groupe qu’ils préfèrent se promener séparément, à des moments distincts, car la chienne est soit en traction constante sur la laisse, soit très agitée en libre, ce qui agace les deux autres poilus.

      Tango est un malinois d’un an. Sa famille en a eu beaucoup avant lui ; c’est leur race coup de cœur. Côme a toujours été en club et a pratiqué le ring avec ses autres chiens, mais Tango est le chien de Mathilde, laquelle a bien vu que le club ne serait pas gérable pour son chien, quand elle a voulu essayer pour trouver de l’aide afin de mieux comprendre Tango.

      Évidemment, en malinois qu’il est, Tango est vif, intelligent, intense émotionnellement. Mais sa famille n’a jamais connu ça. Elle le trouve « différent » et ne comprend pas pourquoi, car il a eu la même éducation que tous les autres chiens qui, eux, n’ont jamais déclenché sur des voitures, chargé un humain ou un chien (en fait, j’apprendrai rapidement que les autres auraient pu le faire aussi, mais qu'ils étaient capables de rester à l’écoute malgré leur envie/besoin. Autrement dit, les ordres strictes avaient du pouvoir sur eux, même sous émotions fortes).

     Tango est issu d’un élevage où il a vécu en grange essentiellement. Il était dans un état lamentable quand la famille l’a récupéré.

      Aujourd’hui, si sa famille a trouvé via la balle un moyen d’aider leur malinois dans la gestion de l’accueil des personnes à la maison, l’extérieur reste très problématique, en dehors des forêts désertes où Tango passe son temps à courir et à embêter l'autre chienne de la maison.

     Tango est par ailleurs obsédé par les balles, qui, il le sait, lui permettent de prendre du plaisir et de se calmer.

 

       Qu’ont Tulipe et Tango en commun ? Au moins le même type d’éducation, a priori non violente, mais qui ne leur a pas permis de développer des compétences essentielles pour se sentir bien : le calme, l’observation qui engendre l’analyse, la capacité à faire des choix adaptés aux situations. Si Tulipe est encore contenue dans son rôle de chien qui doit obéir et travailler quand elle porte son harnais, Tango a largement dépassé ce stade où une forme de pression humaine (ou de matériel, par conditionnement) peut avoir une incidence sur ses comportements jugés inadaptés.

      Tulipe, peut-être profondément sociable et calme à l’origine (quand on est obèse, on est forcément plus calme, aussi… Elle a bien maigri depuis), reste un chien qui a besoin de moments à elle, d’avoir un certain pouvoir de décision et de ne pas toujours être sous une emprise incompatible avec son tempérament (avec sa simple nature de chien ? A méditer !) On a demandé à Sacha de continuer à être exigeante avec elle : assis à répétition, laisse courte, non, marche au pied, stop à tous les trottoirs etc. Mais voilà que Tulipe découvre un autre style de vie, chez « papi mamie », avec deux chiens beaucoup plus libres, et elle « explose » (de joie). Wah, c’est possible de faire tout ça ?? Tout prend des proportions démesurées parce qu’elle a longtemps pris sur elle, presque tout le temps, en extérieur.

      En cours, j'aurai l'occasion d'observer que la chienne, quand elle est libre de ses mouvements et décisions, ne veut pas charger les chiens en aboyant. Elle est sur la réserve et préfère fuir le contact.

      Bien sûr, Tulipe doit garder son rôle de chien d’assistance. Quand elle a le harnais spécifique, on va continuer à lui demander de faire le job qu’on lui a appris. En revanche, en dehors de ces moments là, on va lui permettre d’être un peu plus un chien et pas seulement chez les parents de Sacha. On va reprendre une éducation plus ludique pour elle, basée sur la capacité à réfléchir par elle-même, à prendre de la distance, à choisir d’autres options.

 

     Quant à Tango, il est simplement un malinois plus à fleur de peau que les autres. C’est un hyper sensible qui vit tout beaucoup trop fort. Sa génétique est certainement en partie responsable, ainsi que les conditions de vie qu’il a connu avant d’arriver chez Côme et Mathilde. Allons chercher nos chiots chez de vrais éleveurs ! Passionnés ET formés sur les besoins du chien, notamment en terme de socialisation, ainsi qu'en génétique !

     Lors de son premier cours, Tango était incapable de manger des friandises, peu importaient lesquelles. Il courait dans le vide, sans renifler un terrain pourtant riche en informations olfactives. Il vidait sa vessie sans chercher à marquer. Il sautait sur Mathilde en revenant vers elle et ne supportait pas notre immobilité.

      Même si le malinois est censé avoir une forte envie de plaire à l’humain, il y a des limites : ces limites, elles se trouvent là où l’émotionnel commence à dérailler. Tango a besoin qu’on l’aide face à tout ce qui le dépasse, pas qu’on lui donne des ordres qu’il est incapable de respecter. Son travail d’obéissance n’a aucun effet en conditions réelles, parce que Tango est sur stimulé par l’environnement et ne peut plus être réceptif à une communication, rude ou non.

      Comme Tulipe, le travail consiste en la déconstruction des habitudes et exigences de sa famille, dans un certain nombre de contextes. On reprend l’éducation presque à zéro, pour qu’il agisse selon ses limites et pas selon les limites qu’on lui impose à un instant T.

      Dès la deuxième session, en gérant son entrée différemment, Tango a pris les friandises très vite, a été capable de les chercher et de passer du jeu à la nourriture. Il a ignoré plusieurs voitures pendant qu’il était en jeu avec Mathilde. En une semaine, la différence était déjà folle, même s’il nous reste un long chemin à parcourir…

 

       Tulipe et Tango, comme beaucoup de chiens, ont été débordés par une éducation/un dressage trop exigeant.e. En cherchant à contrôler, canaliser, empêcher d’agir, l’humain n’a pas permis à ces chiens de découvrir plus tranquillement les choses, en les soutenant dans leur gestion émotionnelle. Au lieu de faire grandir et progresser le chien, ce type d’éducation agit comme un robinet mal réglé qui remplit un contenant trop vite, aux mauvais moments, jusqu’à ce qu’il déborde. Après ça, le récipient continue de déborder de façon régulière, car il reste toujours trop plein (de demandes inadaptées, de tentatives plus ou moins fructueuses de contrôle). Le seul moyen d’arranger les choses, c’est de laisser le contenant se débarrasser du trop plein et de veiller à ne plus dépasser une certaine jauge, grâce au changement d’approche éducative.

Margot Brousse - Freed Dogs

Article publié en décembre 2023

bottom of page