La laisse
cet outil parfois obligatoire, souvent pratique,
la plupart du temps problématique
La laisse. Elle ne fait pas débat ; elle semble avoir été acceptée et faire consensus. Elle est même obligatoire en certains lieux. Qui prendrait un chien sans acheter une laisse et un collier ou harnais au préalable ? De nombreuses années, j'aurais pu répondre : « moi ! » Ce n'est pas pour rien que l'entreprise s'appelle "Freed Dogs" (chiens libérés) et que le logo a manqué de peu de faire figurer un humain jetant une laisse à la poubelle devant un chien en posture d'appel au jeu. En club, on m'a souvent fait la guerre sur le fait d'arriver et d'entrer avec mes chiens sans laisse : on me rabâchait que ce n'était pas le bon exemple à donner. Du haut de mes 20 ans, je ne comprenais pas en quoi le fait d'avoir mes chiennes à l'écoute, n'allant voir personne, même sans cet instrument, pouvait être gênant. Vraiment, pourquoi vouloir attacher à tout prix quand notre chien ne dérange personne ? Avec le recul, je me dis que c'était pour que des adhérents ayant des poilus plus facilement distraits sur le terrain n'essaient pas de faire la même chose. Possible aussi que des personnes aient eu l'impression qu'un chien en libre près du leur attaché n'était pas "juste". Une part de moi se demande encore, s'il n'y avait donc pas un peu de jalousie.
Cet article, le tout premier que j'ai rédigé parce qu'il reflète toute la philosophie de l'entreprise, cherchera à montrer pourquoi il est intéressant de se passer de cet objet et comment le faire.
Je dis « s'en passer », mais bien sûr, j'ai conscience que la laisse est parfois un passage obligé. Quand vous vivez en pleine campagne et n'en sortez pas votre animal, pas de problème a priori, mais dès que vous entrez dans une communauté plus agglomérée, notamment dans la plupart des villes, la laisse s'impose. De ce fait, mon objectif ne sera pas de vous faire renoncer totalement à l'usage de cette alliée souvent ennemie, mais de le raisonner.
Je pars de ce principe tout simple et que j'ai souvent eu l'occasion de vérifier : la laisse, courte et banalisée, nuit à la relation homme-chien, voire à la relation entre chiens (intraspécifique). Nous avons tous en tête cette image de personne âgée dont le petit chien tire comme un forcené en aboyant telle une furie dès qu'il croise un congénère. Souvent, son ou sa propriétaire le houspille en resserrant sa prise. Ce petit chien, en l'occurrence, n'a certainement jamais connu une promenade sans laisse ni eu l'occasion de s'approcher d'un autre chien depuis qu'il a quitté son élevage et là est - en très grande partie - la source de son problème, et du problème de son humain, de fait.
La laisse, c'est aussi la mort du véritable lien au référent humain car elle signe trop souvent l'arrêt de la communication avec son animal. Si notre chien est en laisse, quand nous voulons nous arrêter, avant de traverser ou pour discuter avec quelqu'un, nous le faisons, sans prévenir la plupart du temps, et la tension soudaine indique au chien qu'il doit faire de même. Quand nous jugeons qu'il est temps de repartir, nous y allons, toujours sans rien dire, parce que la laisse va de fait entraîner le chien derrière nous. De même, quand nous en avons assez que notre compagnon renifle une odeur, nous repartons et il est obligé de suivre ; la laisse l'y contraint. Observez autour de vous et constatez ; on voit ces scènes partout, tous les jours. Pour peu qu'on utilise une laisse à enrouleur, le pauvre chien ne sait jamais quand il va se faire ramener/tracter, vu que l'humain ajuste à sa guise une longueur de lien en changement perpétuel...
Mais analysons encore un peu plus notre usage de cet outil : notre chiot arrive chez nous et, dès la première sortie, nous nous empressons de lui mettre collier/harnais et une laisse, puisque c'est la norme – nous n'aurions pas pensé faire autrement – ou parce que nous craignions pour sa sécurité. Pour peu que nous le sortions d'un élevage qui s'occupe peu de l'éveil de ses chiots, bébé chien n'aura jamais connu cet attirail et ne sera pas du tout à l'aise. S'il a de la chance, son nouvel être d'attachement saura qu'il faut le désensibiliser en intérieur et éventuellement l'attirer avec des friandises le temps qu'il s'y habitue, mais si nous n'avons pas été sensibilisé à cette nécessité, nous tirerons sur la laisse, et donc sur le collier ou harnais, pour le faire avancer. Même si cela est fait en douceur et ne lui fait pas mal, il commence sa vie en ayant une mauvaise expérience avec cet objet et celle-ci pourra durer plusieurs promenades.
Plus tard, notre chien aura compris que la laisse rime avec sortie et sera plutôt content de la voir. Comme il ne craindra plus son « nouvel » environnement de balade – depuis le temps qu'il le côtoie – ce sera à lui de nous tracter gaiement pendant la promenade. Si c'est un petit chien, peut-être qu'on le laissera faire, mais s'il est plus grand et fort, il y a des chances pour qu'il subisse des remontrances (vocales ou physiques) qui, bien souvent, sont inutiles parce que l'animal est trop excité par sa seule sortie quotidienne, voire hebdomadaire...
Pour résumer, au début de la vie du chiot, l'homme tire sur ce lien étrange puis c'est au tour du chien de tracter et donc à l'humain de renchérir en punissant son compagnon, même si ce n'est que de la voix. Le chien a donc, dès le départ puis en grandissant, un assez mauvais rapport à la laisse, or, qui est au bout ? Son humain, son être d'attachement. Et donc c'est notre relation avec lui que nous mettons à mal en appliquant ce schéma.
(Futurs) Propriétaires de chiots, voilà comment l'éviter :
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Profitez des toutes premières sorties communes pour promener votre bout de chien sans laisse ! Eh oui, à cet âge, contrairement à ce qu'on imagine, le risque de voir le chiot s'éloigner est infime. Le petit poilu, tout bousculé qu'il est d'avoir quitté sa maison, sa mère et sa fratrie, n'a plus que nous à qui se fier et comme point de repère, alors il nous suivra de près, tout naturellement. C'est une période merveilleuse pour tous les apprentissages mais surtout pour ceux concernant les bonnes attitudes en balade. Faites-lui confiance, déstressez-vous et emmenez votre nouveau compagnon dans un lieu sécurisé (bois, grands parcs etc.). Ce sera d'ailleurs le meilleur moment pour motiver son suivi naturel avec des friandises distribuées sur les regards accordés, lui apprendre à revenir quand on s'immobilise, sans ordre, bref : poser des bases solides de communication non-verbale, laquelle est une clé majeure pour un rappel réussi. Si Petit Loup est un petit aventurier en herbe, peu connecté à l'humain, accrochons simplement une cordelette de quelques mètres à son collier (cordelette à laisser traîner), le temps de nouer du lien et d'alimenter l'envie de partager ensemble en extérieur.
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Vous devriez parallèlement lui apprendre à accepter la laisse, bien sûr, mais pas en promenade. Faites-lui porter son attirail à la maison pour manger, jouer avec vous, au cours d'une séance câlin ou d'éducation positive ; il associera ainsi ces nouveaux objets à des événements plaisants. Sous peu, vous pourrez vous saisir de la laisse et motiver votre chiot à vous suivre avec des friandises, toujours à l'intérieur. On essaiera ensuite dans le jardin puis en milieux extérieurs, sur de courtes séquences et quand bébé poilu se sera défoulé.
En procédant ainsi, nous n'apprenons pas à notre chien que la laisse est un outil désagréable mais nécessaire aux sorties, mais bien qu'elle est liée à un exercice de concentration sur nous, exercice qui est profitable puisqu'il est beaucoup récompensé.
Le fait est que plus nous mettons la laisse et contraignons notre ami à quatre pattes à rester près de vous, à notre rythme – qui n'est pas du tout le sien –, plus nous l'inciterons à tirer et, plus grave encore, moins nous le motiverons à revenir vers nous le peu de fois où nous oserons le lâcher dans la nature. Sur ce point, les canidés sont comme les enfants : ce qui est rare est intéressant, donc s'ils ont trop peu l'occasion de se balader librement, s'arrêtant à leur guise pour renifler, nous dépassant en courant pour s'amuser, flairant autre chose le temps que nous revenions à leur niveau etc., ils seront difficiles à tenir en laisse et à récupérer une fois libérés.
Il n'y a pas de miracle, la clé d'un bon rapport à la laisse, c'est un bon rapport à l'humain et suffisamment de liberté d'être un vrai chien et d'explorer. Si nous ne forçons pas notre animal à marcher à notre pied par le biais d'une laisse courte à chaque sortie, il sera (plus) naturellement enclin à rester relativement près de nous, ou en tout cas à faire attention à nous et à nos demandes en balade. Plus nous multiplierons les promenades en liberté (ou en longue longe, si le chien est déjà adulte et très peu concentré sur l'humain), moins notre chien sera excité en étant attaché plus court, hypersensible face aux offrandes de l'environnement.
Au besoin, la longe permet au chien :
- d'apprendre à intégrer l'humain à la balade, à la partager avec lui, à se connecter plus facilement à lui,
- d'apprendre à être neutre lors de croisements (passants, vélos, chiens...)
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d'apprendre à renoncer, pour éventuellement obtenir ce qu'il désirait : si tu te détourne/me regarde, je te laisserai aller voir le chien (dont l'humain est OK avec l'idée !)
Et à l'humain :
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de facilement moduler la longueur offerte selon l'environnement où l'on se trouve,
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de s'entraîner à la communication non verbale, qui est celle de nos chiens,
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d'éviter les rappels inefficaces qui mettent le duo en échec (courses folles autour de nous alors que nous rappelons ou chien qui ignore complètement l'humain, Toutou qui se carapate pour aller saluer n'importe qui sans autorisation ou pour chasser...),
En fin de compte, la longe offre une liberté relative et peut servir de tremplin vers la liberté totale, si elle est bien utilisée, ce que la laisse ne permet pas.
Il sera aussi intéressant de noter que, souvent, c'est l'humain qui entraîne malgré lui son chien à tirer pour aller aux devants de nouvelles informations, au lieu de lui laisser le temps de profiter de celles qui sont immédiatement accessibles en laisse de 2-3m.
Une des première choses à mettre en place quand on souhaite voir son chien être plus détendu en laisse et de l'emmener dans un endroit où les odeurs de congénères sont nombreuses mais où eux-mêmes sont absents - ce qui implique de bien choisir son heure. L'abondance d'informations immédiates fait que le chien marche moins vite, s'arrête plus souvent ; c'est l'occasion de se caler sur son rythme, de lui montrer qu'on lui laisse le temps de renifler, marquer, renifler à nouveau etc. En effet, l'humain aurait tendance à ne pas respecter les temps d'arrêt du chien, dès son plus jeune âge, lui apprenant à filer vers une source plus intéressante, devant, qu'on lui arrachera certainement là aussi : de quoi le conforter dans l'idée qu'il faut prendre de l'avance ou bien tout simplement cesser de s'intéresser aux odeurs environnantes. Voilà que Toutou ne s'arrête plus et trotte à une vitesse qui ne nous convient pas, pour se brancher sur les individus en chair et en os. Le fait de lui montrer qu'il peut prendre le temps de s'intéresser à nouveau à son mode de prédilection, l'olfaction, est toujours salutaire, pour un bon ou meilleur rapport aux sorties attaché.
Tout s'imbrique : la liberté (relative si besoin) motive la communication sans parole superflue, donc l'attention, l'échange. Doucement, cette attention spontanément offerte en liberté peut exister en laisse et c'est alors que Médor tire de plus en plus rarement. Evidemment, en parallèle, un travail sur des exercices de connexion et de communication par les pressions de laisse peut s'avérer nécessaire, surtout avec un chien adulte qu'on chercherait à rééduquer.
Je terminerai en prônant qu'aucun chien n'est plus attaché à son maître que celui qui a la possibilité de le quitter ;)
Margot Brousse - Freed Dogs
Article publié fin 2018
Revu en juin 2023