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La (terrible) condition

du petit chien

      Si je devais être un chien, je ne voudrais pas être un individu de moins de 10kg.

     Contrairement à ce qui se dit au sujet des petites races, notamment des individus agressifs envers leurs congénères, elles savent parfaitement qu’elles sont petites. Non seulement elles ont des yeux pour se rendre compte que TOUT est plus grand et imposant qu’elles, mais elles l’expérimentent sans arrêt, jour après jour, n’étant majoritairement pas traitées comme le sont les plus grands chiens. Ainsi, les chiens de petit gabarit souffrent souvent de leur condition, que ce soit chez eux ou en balade.

 

Parce que le petit chien est un roquet vindicatif, plus agressif que ses pairs plus gros

   

      Et c’est parce qu’ils sont petits qu’ils deviennent agressifs, semble-t-il. Plus exactement, c’est parce qu’ils sont petits qu’ils ne sont pas écoutés par leurs congénères (et un paquet d’humains) et donc qu’ils deviennent agressifs, pour essayer de se protéger.

     Le nombre de fois où Nagg se fige, se tend, détourne la tête avec la crête sur le dos, tremble des babines, émet un couinement durable et peu sonore, face à un chien s’approchant, et que ce dernier continue gaiement de s’avancer… Rien d’étonnant à ce qu’elle finisse par bondir vers le cou du chien en émettant une vocalise plus forte, tranchante. Ce n’est pas Nagg, la petite co**e, c’est le grand neuneu de chien qui ne tient pas compte des dix mille signaux de demande d’espace qu’elle envoie depuis des dizaines de mètres. A qui la faute ? A l’hyper-socialisation qui consiste à faire brasser un paquet de chiens « joueurs » à son chiot depuis tout petit - ce n'est pas ce dont un chiot a besoin ! A l’humain, donc, qui rend son animal mauvais communicant, irrespectueux de la communication de ses semblables.

     Vous voyez approcher un individu de trois à dix fois votre poids, parfois à grande vitesse ? Vous entendez-vous lui demander de ne pas approcher, dans l'espoir qu'il vous sorte de cet inconfort ? Mais s’il se rapproche quand même ? Vous insistez, vous reculez, vous haussez le ton. Et si ça continue ? Peut-être que vous allez vous défendre physiquement, surtout si vous vous sentez pris au piège. Et si le géant en face s’insurge que vous la bousculiez et vous en colle une, cela vous paraît normal ? C’est ce qui est (encore) arrivé à Nagg il y a quelques jours, le chien inconnu n’ayant pas supporté de se faire charger alors qu’il VOULAIT interagir.

     Pour info, deux jours après, Nagg continue d’être très vigilante, d’aboyer anormalement sur des bruits ou choses remarquées et mastique comme une folle les soirs, en alternant avec un léchage compulsif de yeux et oreilles de Guenji. Parce qu’elle ne s’est pas encore remise de cette expérience.

      Comment être à l’aise face à des congénères avec tout ça ? Comment ne pas anticiper et ne pas agresser à distance, pour éviter le contact ?

 

Parce que le petit chien est une déco de salon

     Des personnes veulent à tout prix un chien mais elles en prennent un petit car elles n’ont pas de jardin ou peu de temps à lui consacrer. C’est oublié qu’un grand nombre de petites races ne sont pas des chiens d’agrément et de compagnie mais des chasseurs : russell, caniche, yorkshire, pinscher… Aux dernières nouvelles, le chien ne télétravaille pas depuis son canap et il va sur le terrain – dehors : dans les broussailles, les terriers, les granges, à l’eau… - pour exprimer son potentiel. Parmi les petits chiens, il y a donc beaucoup d’individus avides de se dépenser, de réfléchir, d’avoir des objectifs - qui n’ont rien à voir avec le fait de servir de peluche. Trop de petits individus ne sortent qu’en laisse enrouleur en milieu urbain ou en lotissement, pour un petit tour de quartier largement insuffisant (même avec un jardin !)

 

Parce que le petit chien est un sac à main

     On l’attrape et on le repose quand on veut, où on veut. Il a l’air d’avoir une bébête sur la tête ? On le ramasse pour le coller sur nos genoux et vérifier. Il faut lui essuyer lui pattes ? On le récupère pour le frotter dans les airs. Il tire et couine parce qu’il a vu son pote Malcolm, mais on n’a pas le temps de copiner ? On le prend sous le bras pour passer plus vite. Il est à côté du fauteuil et on a envie d’un câlin ? On le chope et on le bisouille. Il ne veut pas se laisser manipuler pour x raison ? On le capture et on le contentionne. Il a peur de monter dans la voiture ? On saisit son harnais et, hop, sur le siège. Il gêne sur le fauteuil de la maison ? On le prend et le « dépose » au sol.

     On pourrait écrire des pages et des pages d’exemples, malheureusement. Le petit chien passe sa vie à être soulevé sans qu’on lui demande son avis, sans même qu’on le prévienne, d’ailleurs. Après, on s’étonnera qu’on ait de plus en plus de mal à le toucher, à le porter, à lui faire enfiler son harnais. On se demandera ce qui lui prend, le jour où il montrera les dents depuis son coussin ou se retournera sur la main qui veut l'attraper…

 

Parce que le petit chien n’est pas dangereux

     Il grogne ? Pas de problème pour lui signifier qu’on ne veut pas de ça, plus ou moins violemment. Il est furieux au bout de sa laisse car un tiers lui fait peur et ne le respecte pas ? C’est plutôt drôle, ce n’est pas grave, « il pense qu’il fait 60kg »… Il tremble comme un fou avant même d’être sur la table chez le véto, il émet des grondements sourds, il essaye de s’échapper pendant l’auscultation ? Pas grave, on peut juste fermement le tenir et bloquer sa tête pour éviter un pincement.

 

     Terrible, il n’y a pas d’autres mots. Trop de petits chiens vivent un vrai calvaire, parfois quotidien.

     Pour les aider, on peut commencer par simplement réfléchir avant d’agir et se demander comment on ferait si on avait un individu de 40kg à gérer :

  • Est-ce qu’on le porterait de force sur une table ?

  • Est-ce qu’on le descendrait du canapé en le manipulant physiquement ?

  • Est-ce qu’on le prendrait dans les bras pour l’ausculter ?

  • Est-ce qu’on utiliserait la force pour le monter dans la voiture ?

  • Est-ce qu’on s’amuserait de le voir partir en vrille au bout de sa laisse ?

  • Est-ce qu’on s’aventurerait à le sanctionner s’il grognait ?

  • Est-ce qu’on le coincerait sur nos genoux ?

     L’immense majorité des humains répondraient certainement que non. Alors pourquoi accepter ce traitement réservés aux petits chiens ?

 

     Rien qu’en cessant de ramasser et porter Kiki à tout bout de champ, on améliorerait grandement ses conditions de vie. Et puis pourquoi ne pas enseigner à Petit Chien à monter de lui-même sur les genoux sur demande, si on estime avoir besoin de le prendre dans les bras à un moment ? Ou pourquoi ne pas, a minima, chercher à associer les portés à quelque chose de positif, en les annonçant systématiquement « je te porte ? » (pour lui offrir la possibilité de dire "non") et en offrant à Kiki de super friandises tout le temps du portage ? Ce n’est pas grand-chose, mais cela fait beaucoup. Communiquer et donner du choix est le fondement de toute relation de confiance.

      Mais le plus souvent, laissons-le surtout vivre sa vie comme s’il était un chien « normal ». Car il est un chien normal.

     Donnons-lui un pouvoir de décision sur ce qui lui arrive : la possibilité de se soustraire à quelque chose de gênant, le droit de s’exprimer sans qu’on le cale sous l’aisselle pour l'inhiber, le droit d’avoir une communication dont son environnement tient compte, le droit d’être travaillé et renforcé pour sa coopération (monter/descendre, se déplacer, venir sur les genoux, enfiler le harnais, accepter un soin…) Ce à quoi tout chien devrait avoir droit, finalement.

 

 

Attention : cet article n’est pas – comme on en voit – un soulèvement contre le fait de porter son petit chien. Si une grosse brute de poils arrive en trombe sur le mini-poilu et qu’il a peur des contacts, le porter (ou le mettre en hauteur sur un support comme une poubelle, un tas de bois...) pourrait être la meilleure solution, sur le moment. Mais c’est là qu’il me semble intéressant de laisser du choix à Petit Chien : je pourrais lui proposer un portage dans la situation, mais le laisser gérer au sol s’il devait refuser (en cas a priori non dangereux). Pour notre cas particulier, Nagg déteste être dans les bras dans ce genre de situations ; elle préfère soit se charger de repousser le chien, soit que j’agresse moi-même l’assaillant pour le faire stopper tandis qu’elle reste derrière moi.

Margot Brousse - Freed Dogs

Article publié en avril 2023

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