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Auto-contrôles :

Des exercices inutiles et malaisants ?

       J’ai perdu Djuna deux jours après avoir lu l’article qui sert de support au mien, aujourd’hui. J’ai tardé à m’y replonger et à rebondir dessus pour partager mon avis sur la question. Mais rester longtemps sans écrire, ce n’est pas mon fort.

       Avant que vous ne le découvriez vous-mêmes, je tiens à préciser qu’il n’est aucunement question d’attaquer un collègue ni de rire de son propos. Bien au contraire, en fait, car son article est très sensé et a le mérite de faire réfléchir.

 

J’ai l’impression que de plus en plus de clients arrivent avec un certain bagage théorique. Ce qui est plutôt cool !

Arrivent toujours sur le tapis, les sacro saints exercices d’auto contrôles … mes favoris

Alors tant qu’à faire, j’ai décidé d’innover et de partir dans la métaphore.

« Les autocontroles, c’est comme une envie de pisser. C’est pas parce que tu sais te retenir que t’as plus envie. Et plus tu te retiens, plus ton envie elle grandit. »

« Oui, logique »

« Bon alors c’est vrai que c’est bien pratique pour NOUS un chien qui se retient indéfiniment de faire pipi ou de piquer ton morceau de fromage sur la table. »

« Oui mais il a toujours besoin de faire en gros »

« Voilà, donc le piège c’est qu’il apprend tellement bien à se retenir que tu vois plus ou trop tard qu’il a envie. ».

« D’accord mais il faut bien qu’il fasse quand même. »

« Exact, du coup dans le principe tu lui autorises mais pas trop et tu le stoppes pendant qu’il fait surtout. »

« Mais ça fait super mal de bloquer un pipi »

« Tout juste. Comme de se retenir tout le temps. Prendre sur soi en permanence c’est pareil. »

« Et du coup, vaut mieux rien faire ? »

« Oh que si on fait des trucs. On va déjà apprendre à communiquer avec lui. Dans les deux sens.

Puis on va s’attarder à développer toutes ses compétences émotionnelles car son petit corps et sa petite tête sont pas du tout mature encore.

Grâce à ce qu’il communique, on va pouvoir l’accompagner à redescendre quand il est trop haut et qu’il sait plus faire. En gros plus on raccompagne vers un état où il sait réfléchir plus on développe sa résilience.

C’est un peu comme une plante, plus tu l’arroses, plus elle pousse. Faut-il arroser la bonne. »

« Euh … la resilience ? »

« Pour aller à l’essentiel, c’est un peu ta capacité à revenir à un état de sécurité et de paix intérieur. ça ne veut pas dire que tu peux pas ressentir un peu de colère, mais que tu es capable de revenir à un état émotionnel où t’es encore en capacité de réfléchir plutôt que de subir tes émotions et de t’emporter. C’est aussi ce qui te permet de te remettre d’un choc gros émotionnel. »

« Et ça se travail ? »

« Alors ça dépend de plein de facteur, dont des facteurs génétiques et épigénétiques. Mais ça dépend aussi des liens que l’on crée avec ceux qui s’occupent de nous petits et de si on nous oblige à prendre sur nous ou pas tout le temps.

Le but ça va être de répondre aux besoins physiologiques et émotionnels de notre chien pour qu’il se développe en ayant confiance en nous ce qui lui permettra de prendre confiance en lui et de devenir autonome.»

« Et pour connaitre ses besoins ? »

« C’est là que la boucle est bouclé. Il va falloir qu’on apprenne à communiquer chien et surtout qu’on rencontre qui est notre chien.

Découvrir sa vraie personnalité avec ses émotions, ses humeurs, ses préférences etc qu’on s’intéresse à ce qu’il fasse et qu’on l’accepte tel qu’il est. Et ça c’est parfois beaucoup de remise en question pour nous.»

Au final, la vraie vie amène bien assez de situations frustrantes comme ça. On peut bien se passer d’en rajouter une couche.

Article de CynRgie, septembre 2023

 

       Il y a beaucoup à dire. Cette publication est très riche et soulève un grand nombre de réflexions et interrogations.

      Il me semble dommage que les « sacro saints auto-contrôles» ne soient pas définis par l'auteur. Difficile de savoir ce qu’englobe cette expression, dans la pensée de l’éducateur. Parle-t-il de l’apprentissage d’ordres comme « pas toucher », « pas bouger » ? Ou pense-t-il à la création de contextes permettant au chien d’apprendre à renoncer, se détourner par lui-même ? La chose est très différente. D’ailleurs, dans le premier cas, il ne s’agit en aucun cas de travailler les auto-contrôles du chien, mais de renforcer le contrôle humain, l’obéissance aux commandes vocales. Ce travail serait l’antithèse des auto-contrôles, finalement. Le problème, c’est qu’ils sont encore régulièrement confondus.

      J’ai tendance à croire que la personne qui a rédigé fait justement référence aux exercices d’obéissance que le chien « doit/devrait faire » pour apprendre à se contrôler (en réalité, à obéir à l’humain qui donne un ordre en contradiction avec l’envie/le besoin du chien, lequel va possiblement généraliser l’apprentissage à certaines situations comme « il ne faut pas toucher les aliments sur la table quand les humains sont dans la pièce », ce qui ne donne apparemment plus lieu à une réponse d’obéissance mais qui en reste une, car c’est bien « l’aura » humaine qui empêche le chien d’agir comme il voudrait ; ce n’est pas lui qui prend la décision sans que cela lui coûte).

       Beaucoup voit désormais le travail autour des auto-contrôles comme des exercices de création de frustration, sous prétexte d’enseigner la gestion de cette émotion. Sauf qu’on a la possibilité de faire différemment. Et si apprendre à renoncer ne faisait pas mal comme « l’envie de pisser » contrariée de l’article ? Et si apprendre à se détourner était très valorisant pour le chien ? Pourquoi vouloir à tout prix que la gestion émotionnelle s’enseigne avec une forme de douleur préalable ?

       Il ne tient qu’à nous de gérer les paramètres pour que l’enseignement qu’on souhaite mettre en place ne mette pas le chien en difficulté. Évidemment que si je tiens à obtenir d’un coup que mon chiot ne touche pas la gamelle que je voudrais poser par terre et le punissant de « non » ou de retrait de gamelle à chaque fois qu’il avance vers elle, je crée de la frustration ; je génère moi même une émotion négative chez mon chiot, alors qu’il n’a effectivement pas besoin que j’en ajoute à sa vie. Mais si mon chiot est récompensé pour sa patience tout le temps de la préparation de son repas et que je le libère sur sa gamelle sur un moment de calme avant qu’il ne se frustre, où est le mal ? Hors, dans cette situation, je travaille les auto-contrôles et je peux considérer que je l’ai fait dans le cadre d’un exercice qui je pourrais appeler « gestion émotionnelle autour du repas ». Bien renforcé dans son calme, sans gêne face à l’attente, le chiot nous permet au fil des jours de descendre la gamelle plus bas avant de le libérer dessus.

      Autre exemple : si je veux que mon chien apprenne à attendre une autorisation pour franchir une porte, je peux...

  • le contenir de « non » quand il avance, de « assis » quand il bouge et je suis dans l’obéissance pure et dure, une obéissance frustrante car le chien veut sortir et que j’impose le contraire.

  • le contenir en le punissant de porte qui se referme systématiquement quand il essaie de passer, jusqu’à pouvoir ouvrir suffisamment à mon goût, avec un chien qui bouillonne peut être de son attente (là je suis dans l’enseignement des auto-contrôles, mais générant possiblement de la frustration, comme l’obéissance de la situation précédente).

  • lui apprendre à quel point il est intéressant pour lui d’être calme devant la porte que je compte ouvrir, en le récompensant beaucoup pendant que j’ouvre doucement la porte, jusqu’à le libérer avant de dépasser son seuil de tolérance. Avec ce système, en fonction de son état émotionnel et du contexte, je pourrais l’autoriser à passer alors que je viens seulement de mettre la main sur la poignée, s'il est haut en émotions, ou alors quand la porte est largement ouverte, s'il se sent à l'aise avec la patience dans cette situation donnée.

 

     Un autre point me paraît essentiel à développer : le fait qu'on laisse le chien sur une envie constante, qu'il va faire l'effort de gérer, jusqu'au jour où ce ne sera pas ou plus possible. Cela implique qu'on part du fait que j'impose à mon chien de ne JAMAIS céder à son envie et qu'en plus, je ne lui propose pas d'alternative efficace pour le satisfaire ou soulager. Nous avons déjà parlé du fait de payer les comportements de calme, de patience, ce qui simplifie les exercices tout en apprenant au chien ce qu'on souhaite. Mais, dans beaucoup de cas, on peut aussi offrir au chien qui s'est contrôlé l'occasion de faire ce qu'il voulait faire. OK, a priori, ce ne sera pas de prendre le poulet sur la table, mais passer la porte, aller dire bonjour à un congénère ou ami humain, avoir le droit de récupérer la balle lancée ou une autre jetée ailleurs, ou même aller pister un autre animal, tout cela peut répondre au besoin ou à l'envie du chien, après qu'il a fait un effort qu'on tâchera de doser pour ne pas le faire monter en émotions.

     Il est donc dommage d’affirmer que le travail des auto-contrôles est forcément maltraitant. La manière dont on les aborde fait qu’il le devient ou non. D’ailleurs, quand l’éducateur parle d’enseigner la gestion émotionnelle, d’accompagner le chien dans ce qu’il ressent pour l’aider à revenir à un état d’homéostasie le plus efficacement possible, tout en développant sa résilience, soit il pense à ce genre de choses sans les nommer, soit il ne réalise pas qu’il pourrait disposer de davantage de leviers d’apprentissage dans le quotidien.

 

      Cette hypothèse est ce qui va me permettre de rebondir sur un autre sujet : le fait que des exercices d’auto-contrôles ne présentent pas d’intérêt, car seule la situation travaillée en réel donnerait de vrais résultats.

       Tous les jours, la vie me prouve le contraire.

       A chaque fois que je vois Sangha capable de se détourner d’une source d’excitation par lui même. Ne pas courir après des éléments ou animaux en mouvement. Ne pas suivre Nagg quand elle détale en aboyant derrière un lapin, le soir. Se gérer tout seul face aux véhicules dans la rue, véhicules qui sont pourtant source d’une montée en tension systématique, s’ils passent près et/ou vite. A chaque fois qu’il voit un chien au loin, s’arrête, puis me regarde pour savoir si on y va ou pas.

      Vous vous en doutez mais je ne me suis pas amusée à lâcher des lapins devant lui à bonne distance pour renforcer son observation calme de la scène. Je n’ai pas demandé à Nagg de partir en aboyant pour lui apprendre à ne pas aller derrière. J’ai récompensé, dans la vie mais aussi en exercices, les interrogations visuelles, la proximité, le renoncement sur le mouvement, les détournements, les changements d’idées etc.

       Et d’ailleurs, comment TOUT travailler efficacement uniquement en contextes réels ? Comment, par exemple, travailler le renoncement face aux chats ou au gibier seulement dans la vraie vie ? C’est trop aléatoire et risque de nous exposer à l’échec. N'est ce pas en partie pour cela qu'un gardien vient d'abord en cours avec son chien réactif, sur un terrain privé, afin qu'il voie des chiens adaptés et de manière organisée ?

      Le chevreuil qui va passer sans prévenir à 10m alors que mon chien gère la chose à 100m, je ne le contrôle pas et il va mettre mon chien en frustration, c’est sûr (OK, c’est le jeu de la vie, mais il va falloir contrecarrer ça, ensuite). La balle, la croquette, le tug, le bout de viande, le sachet à friandises, je peux en revanche les faire passer/les jeter à la distance et à la vitesse désirée. Ce n’est pas que la balle ou le sachet ont autant de valeur que le chat ou du gibier, mais que la configuration permet tout de même de renforcer les comportements que j’aimerais que Toutou adopte, dans une situation qui sera similaire au niveau des envies que cela déclenche chez lui. C’est d’autant plus valable avec un chiot, vierge d’expériences renforçantes, donc qui ne préfère par encore le chevreuil à sa balle.

       On dit toujours que la progression doit se faire par étapes, à différents niveaux d’intensité, pour que le chien puisse gérer l’évolution, à son rythme. C’est bien ce genre de mises en scène de travail, donc le travail ouvert des auto-contrôles, qui autorise une gestion possiblement sans fausse note de l’entraînement. Ce sont pour moi les étapes antérieures au travail en situation réelle. Je permets à mon chien de développer des compétences dans un milieu encadré, puis je cherche à les exporter dans le vrai monde.

 

       Oui, la vie est une succession de frustrations, pour tous. Vouloir en ajouter pour se créer des opportunités de travail n’est pas nécessaire, voire contre productif. Seulement, le travail des auto-contrôles n’a pas besoin de susciter une émotion négative dans l’espoir d’enseigner comment la gérer. Il devrait, à l’inverse, être suffisamment découpé pour que le chien n’éprouve pas de difficultés dans l’apprentissage qu’on a commencé avec lui. Se contrôler ou plutôt savoir rester calme et prendre une décision qui convient à l’humain ne devrait pas être douloureux. Si l’entraînement est bien mené, ça ne l’est pas.

      Alors, bien sûr, nous sommes nous aussi plongés dans la vraie vie. Même avec toute la bonne volonté du monde, à un moment, on peut se tromper et essayer quelque chose de trop difficile, qui va créer une certaine frustration, c’est vrai (chez le chien mais aussi chez l’humain, d’ailleurs !). Ce n’est pas qu’on ait voulu que cette sensation désagréable dépose provisoirement ses valises, mais cela arrive. Mais c’est en travaillant avec notre chien que nous pouvons devenir meilleur dans la lecture de ses émotions, pour lui éviter le plus de difficultés possibles en nous ajustant avant que les émotions négatives ne s'imposent.

      Il y a aussi ces moments où, par flemme ou facilité, on choisit de « travailler » avec la technique des auto-contrôles avec frustration ou en demandant un comportement alternatif (parce qu’on n’a pas de croquettes sous la main, parce qu’on est pressés, parce que…) Ce n’est pas bien en soi, mais c’est humain. Le tout reste d’avoir conscience qu’on aurait pu mieux faire aujourd’hui et qu’on fera mieux demain.

Margot Brousse - Freed Dogs

Article publié en octobre 2023

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