Le prix de la liberté
De plus en plus souvent, la professionnelle que je suis à affaire avec des personnes très renseignées sur le chien en général, sur ses besoins et l’importance d’une éducation bienveillante. J’arrive dans ces familles et le chien a un sabot de veau ou une corne à disposition et il est souvent promené, pour ne citer que ces essentiels.
Même si c'est loin d'être encore totalement ancré chez les adoptants de chiens, nous avons de plus en plus conscience de ce qu’il faut pour amener du bien-être à nos animaux. Et comme l’heure est au choix, pour que le chien développe pleinement sa personnalité, une majorité de propriétaires rencontrés offrent différents jouets en libre service, objets à mastiquer en grand nombre, itinéraires de balade variés etc. On laisse aussi du temps à Médor pour renifler et c’est idéal. Il a le droit de rencontrer ses semblables et de partager un moment avec eux, parfois très régulièrement. On l’entraîne pour les manipulations et il peut les refuser, ce qui peut être un vecteur de lien et de confiance formidable.
Le souci que tout cela peut engendrer, c’est la création de profils non contrariables, dans des situations précises ou en général, ou de profils très autonomes, voire carrément indépendants en tout type d’extérieur. Je voudrais m’attarder sur ceux-ci, ce soir.
Parce qu’offrir des choix ne veut pas dire laisser le choix tout le temps. Laisser décider de l’itinéraire ne signifie pas accepter de se faire tracter et/ou de ne jamais imposer soi-même une direction. Prioriser les balades silencieuses n’implique pas de ne jamais demander quoi que ce soit au chien en promenade. Faire rencontrer des congénères n’oblige pas à lâcher un chien qui tire et hurle au bout de sa laisse sur le parking des retrouvailles. Et ainsi de suite.
C’est un fait que je retrouve très souvent à présent : des gardiens extrêmement motivés se retrouvent avec des chiens qui deviennent des « monstres » en balade.
Pourquoi ? Parce que même un chien travaillé plusieurs fois par jour chez lui, très attentif dans les exercices proposés dans la maison ou son jardin, peut être imbuvable lors des promenades (et même chez lui !). Dans la majorité des cas, c’est parce que ce chien n’a jamais appris qu’on pouvait pratiquer des jeux de connexion/calme/réflexion en balade, ou juste en dehors de son intérieur. Cette boule de poils est parfois parfaite sur le terrain d’éducation aussi ! Elle ignore les chiens qui courent, se plonge dans le regard de son gardien pendant une éternité, propose des comportements calmes avec une facilité déconcertante. Mais si l’on va 100m plus loin… c'est le drame. Plus de regard, plus de calme, que du je m'en foutisme et de l'impatience, de la frustration.
L’humain a lu que son chien avait besoin d’explorer, de faire la sortie à son rythme, d’être écouté dans ses envies et besoins élémentaires. Alors il s’est appliqué à offrir cette liberté à son animal, depuis petit, pour compenser l’inactivité de la journée (de travail de l’humain).
Sauf que la vraie liberté, on ne l’obtient qu’avec un chien qu’on sait qu’on peut sortir, partout ou presque, sans laisse ou longe. Cela implique d’avoir une connexion conséquente, même ténue, même à distance, une bonne capacité de renoncement/détournement et un rappel efficace. Mais comment le chien serait-il capable de les produire sans y avoir été entraîné depuis qu’il est chiot ?
En voulant trop bien faire, l’humain tombe finalement dans un paradoxe : lui qui voulait offrir le plaisir et la liberté à son compagnon poilu se retrouve à constamment lutter contre les envies de son chien, parfois pendu au bout de sa longe, alors que Toutou a deux, voire trois ans ou plus. En grande partie parce que ce dernier n’a jamais appris les essentiels lors de ses sorties.
La vérité, c’est que si l’on a envie de profiter de balades en toute sérénité, tant pour le chien que pour son humain, il faut en passer par une phase de travail en promenade. Avec des exercices adaptés aux situations, mais impliquant auto-contrôles et connexion pour obtenir les enrichissements de la nature.
Oui, il faut entraîner son chiot ailleurs que chez lui.
Oui, il faut "prendre la tête" à son ado en phase d'émancipation pour obtenir le ou les comportements voulus avant de lui lâcher la bride. Ça ne veut pas dire le violenter, lui crier dessus s’il n’agit pas dans le bon sens. Ça signifie juste lui apprendre à coopérer pour avoir ce dont il a envie. Et de s'y tenir. Toujours.
C'est alors que tout le monde finit par y trouver son compte.
La (vraie) liberté se gagne ; elle n’est pas due.
Freed Dogs
Publication Facebook du 18 juin 2022