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Réactivité :

je ne comprends pas les déclenchements aléatoires de mon chien

     « Je ne comprends pas ; des fois, dans un même contexte, il réagit et d’autres fois pas. Je ne sais pas ce que je fais de travers… »

     C’est parce que tu ne fais sûrement rien de travers, Simone (désolée, j’avais envie !)

 

Plantons le décor...

 

     Quand on parle de réactivité, on évoque souvent les paramètres de distance, de direction, de prévisibilité, de distraction, voire d’antécédents immédiats comme facteurs intervenant dans la réaction du chien. En effet,

  • Kiwi peut ne pas déclencher à 20m du stimulus mais partir en vrille à 17.

  • Aubergine peut se moquer d’avoir un chien qui arrive derrière elle, mais se mettre très en colère de le voir arriver en face, même de loin.

  • Griotte peut ignorer un cycliste qu’elle a vu arriver depuis longtemps mais vouloir foncer sur celui qu’elle découvre trop tard, à la sortie d’un virage.

  • Fenouil peut ne pas réagir sur une promenade où il voit du monde tout le temps mais vouloir charger un promeneur isolé.

  • Tomate peut ne rien dire aux deux premiers joggeurs puis, à force de prendre sur elle, décider de tenter de croquer les fesses du troisième.

 

     Ça, l’humain arrive généralement à l’entendre, car une fois qu'il a compris les rouages logiques du fonctionnement de son chien, il se dit que cela a du sens. Par contre, si…

  • depuis trois semaines, Kiwi ne réagit plus à 20m et, ce jour là, se met à aboyer sur un déclencheur à 30m,

  • depuis le début des cours de coaching, Aubergine ne fait plus cas des chiens derrière elle et, qu’aujourd’hui, elle est extrêmement tendue, à surveiller tous les deux mètres le congénère qui la suit,

  • Griotte commence à parvenir à gérer l’apparition soudaine d’un cycliste mais, aujourd’hui, réagit fort quand en passe un qu’elle a pourtant remarqué à cent mètres et vu venir,

  • depuis des mois, Fenouil fait sa petite vie quand une « foule » est bien visible et sans intérêt pour lui, mais que ce jour là, il prend en grippe un marcheur et veut aller en découdre,

  • Tomate est plutôt calme et n’a rien vu d’excitant/dérangeant sur cette balade, mais qu’elle déclenche sur le premier coureur croisé,

là, l’humain ne comprend pas. Et s’il est empathique, pleinement investi dans l’éducation ou la rééducation de son chien, il aura tendance à penser que c’est lui qui a fait quelque chose qu'il n'aurait pas dû faire, ou inversement.

     Mais pas forcément (Simone).

 

Pédagogie par l'humain

 

     Je suis une humaine réactive aux aboiements de mes chiens. Pas à tous, pas tout le temps, mais je peux l’être. Avoir les connaissances pour comprendre les raisons d’un comportement et trouver des solutions pour gérer ce qu’on considère être gênant ne fait pas de l’éducateur un super héros sans faille ni faiblesse, malheureusement.

     Ma réactivité, sans filtre, se traduirait par une colère fulgurante m’incitant à hausser fort la voix, dès le premier aboiement. Comme toute réponse à une montée émotionnelle, elle dépend de plusieurs facteurs, en commun avec le chien :

  • L'intensité du stimulus aversif : un petit "wouf" étouffé est moins difficile à gérer qu'un gros aboiement affirmé ou une salve sonore. Ainsi, les chiens sensibles aux approches humaines ont souvent plus de mal avec un coureur qu'avec un marcheur.

  • La distance, qui n’est clairement pas l’élément le plus déterminant pour moi. En théorie, si j’entends un aboiement en étant à l’étage, je le vis mieux que si j’avais été dans la pièce d’où part le stimulus auditif. Ce serait logique, mais ça ne se vérifie pas forcément.

  • La prévisibilité de mon déclencheur. En effet, j’ai moins de chance de réagir quand l’aboiement survient alors que je m’y attends. Par exemple, si je vois mon voisin s’approcher du portail et que je sais que mes chiens vont le voir ensuite et jouer leur rôle préventif, l’irritation dû au son est généralement peu importante. Cela marche dans l’autre sens (Nagg vient de me fournir un super exemple à l’instant) : si je pars du principe que ma chienne n’aboiera pas sur le bruit assez fort d’un avion mais qu’elle le fait, je ressens un pic d’énervement plutôt fort, car je ne m’y attendais pas. Pour le domaine canin, c'est le cas de Griotte qui évoque ce paramètre.

  • La distraction ou, plus exactement, mon niveau de concentration au moment des faits. Plus je suis concentrée sur une tâche autre, plus ma réaction a des chances de survenir et de façon violente. Si l’aboiement retentit alors que je suis en extérieur, occupée avec les chiens, je ne ressens normalement rien de particulier. En revanche, si je suis en train de lire un article, de rédiger quelque chose, de traiter une photo, de mettre à jour le site internet ou de regarder une vidéo sur un sujet qui capte mon attention, le stimulus a beaucoup plus de chance de me mettre en colère. Côté chien, on peut observer ce genre de choses sur un individu en train de creuser, dérangé par un congénère qu'il n'a pas vu venir, et qui explose à cause de la surprise, au delà de la possible protection de son trou. C'est aussi le cas du chien qui est concentré sur son gardien, en attente du jouet ou de la friandise, et qui subit le même type d'approche. Il peut suréagir, d'autant que l'excitation positive à l'idée de la récompense le fait plus facilement passer à la colère.

  • La fréquence de l’exposition au déclencheur sur une durée déterminée. Évidemment, un seul aboiement isolé sur la journée est plus supportable que s’il y a trois répétitions de l’événement, surtout rapprochées. Je ne peux pas trop le vérifier, car mes chiens aboient de façon assez anecdotique ; je crois que ça n’arrive jamais plus de deux fois par jour et pas tous les jours. C'est l'exemple vu avec Tomate qui tolère puis, d'un coup, n'y arrive plus.

 

     Partant de là, on serait tenté de conclure que, pour moi, les facteurs déterminants sont ceux de la concentration et de la prévisibilité - qui vont de paire, finalement, puisque le focus sur une tâche amoindrit la capacité à se préparer au reste.

     Sauf que cette liste oublie un élément encore plus important que les autres : mon état général, lorsque le déclencheur survient.

 

     Ce n’est pas un scoop : plus on est fatigué, plus on a été stressé sur une certaine période, plus les tracas se sont accumulés sur un temps déterminé, plus nous, humains, sommes facilement irritables.

     Par exemple, si j’ai un conjoint/colloque qui me rappelle que j’étais censé.e racheter telle chose avant de rentrer du boulot pour le plat qu’il comptait faire ce soir, je vais sûrement réagir très différemment en fonction de la journée que j’aurai eue :

  • Si j’étais reposé.e, que tout a roulé au travail, que j’ai passé un bon moment en terrasse avec des amis à midi, que j’ai trouvé un produit que j’avais envie de manger depuis longtemps au supermarché, qu’il y a eu moins d’embouteillage que d’habitude, que..., il est probable que je prenne cette information comme elle est : une simple remarque signalant un oubli somme toute peu grave et auquel je remédierai facilement le lendemain. Je répondrai alors probablement quelque chose comme : « ah mince, désolé.e ; je t’aide à faire autre chose pour ce soir ? »

  • Si je suis épuisée, que j’ai eu galère sur galère au travail, que mes amis m’ont posé un lapin faute de timing, que j’ai fait les courses à contre cœur, que j’ai été ralentie sur le trajet du retour, que..., je risque de prendre cette phrase comme une accusation fortement agaçante et donc de réagir de façon disproportionnée. « Ah, commence pas à me prendre la tête, toi aussi ! T’avais qu’à y aller, toi, faire les courses, si ça te va pas ! »

     Ça vous parle ?

 

Antécédents immédiats ET globaux

 

      La considération des facteurs immédiatement accessibles est simple, facilement appréhendables. Mais ils ne sont pas les seuls à faire partie de l'équation globale. Une accumulation d’antécédents favorisant le débordement n’existe pas que sur le court terme, à l’échelle de quelques heures ou d’une journée. Je peux par exemple avoir passé une journée correcte voire plutôt agréable, mais être émotionnellement submergée de rien parce que mon enfant a des soucis en classe depuis plusieurs semaines, parce que mon chat est très malade et que je suis inquiet.e, parce que je suis surmenée dans mon job depuis trois mois, parce que de la famille va débarquer chez moi dans une semaine et que je sais que ça va être source de tensions, parce que…

     Dans mon exemple personnel, le résultat de ces constats, c’est que :

  • Parfois, l’aboiement retentit tout près de moi alors que je suis en train de lire et ma réaction est de dire : « Doudou, ça va, c’est rien, tu retournes te poser ? ». Ou comme à l’instant, de me lever pour vérifier le pourquoi du comment, puis de conclure : « Ca va, c’est rien, Choubi ».

  • Parfois, l’aboiement survient en extérieur et de façon assez prévisible, mais je ressens tout de même une forte montée en émotions désagréables, que je contrôle tant bien que mal.

  • Parfois, l’aboiement est dans l’autre pièce, je ne fais rien de particulier et je pars en rage sans plus rien maîtriser alors que, clairement, il n’y a aucune raison qui justifie de se mettre dans cet état.

 

     ➥ Bienvenue dans le monde de l’émotion et de la cohabitation avec du vivant !

 

     Car, pour le chien, c’est la même chose : oui, il peut réagir ou non à cause d'éléments immédiats circonstanciels, mais aussi pour des raisons moins accessibles à son gardien, plus éloignées de la réalité de l'instant présent.

     Lorsque Kiwi réagit brutalement à 30m au lieu de 20, peut-être qu’il a mal dormi, possiblement depuis plusieurs nuit.

    Quand Aubergine manque de déclencher sur le chien qui la suit, peut-être qu’elle a l’estomac en vrac à cause de la mastication d’hier ou parce que son alimentation ne lui convient pas et que son corps la supporte de moins en moins.

     Lorsque Griotte déclenche de façon surprenante sur le cycliste, peut-être qu’elle est globalement inquiète à cause d’un changement familial (absence temporaire mais « anormale » d’un des membres du groupe, tensions dans le couple…)

     Lorsque Fenouil s’agace après ce marcheur particulier, il est possible qu’il soit encore en stress après son retour de pension d’il y a deux semaines.

     Lorsque Tomate s’élance pour mordre ce joggeur, peut-être qu’elle décharge son irritation due à la présence d’un autre chien dans le foyer depuis plusieurs jours.

      Mal être physique et psychologique, même ténus, agissent sur le chien, comme sur tout individu sensible.

     Bref, tout un tas de raisons peuvent expliquer que le chien réagisse ou pas comme on attendrait qu’il le fasse. Tout n’est pas analysable, décorticable, car nous n’avons pas accès à leur cerveau et à chacun de leur ressenti.

     Si certaines choses sont prévisibles et modulables, d’autres le sont moins. Mais il nous faut voir les choses sur le long terme et sous un angle de vue global, si l’on veut chercher à comprendre ce qui a pu se passer. Ce qui est sûr, c’est que l’environnement et le confort de vie doivent être considérés et adaptés, pour favoriser le meilleur état émotionnel (lié à l’état physiologique, rappelons-le au passage) possible au quotidien.

     La vraie chose à considérer, c'est l'état du chien sur le moment présent et face au potentiels déclencheurs. Regarder son chien, sa manière d'évoluer, de regarder ce qu'il y a autour de lui, sa capacité à renifler, la manière dont il se tend ou non sur des petites choses, sa capacité à se détourner seul ou avec aide vocale ou de la longe etc. C'est pourquoi il est si épuisant de s'occuper d'un chien sensible.

     C'est aussi parce qu'on ne peut pas tout prévoir que la sécurité de tous devrait toujours être au centre de nos préoccupations : ne pas museler en lieu public un chien qui peut mordre ou a déjà mordu, c'est risqué. Ne pas tenir la longe d'un chien qui peut se montrer agressif avec un humain ou un chien, c'est dangereux. Rien ne peut garantir qu'on pourra toujours prévenir les accidents en gérant, avec les paramètres dont on a connaissance, l'environnement immédiat de Toutou.

Margot Brousse ~ Freed Dogs

Article publié en mars 2024

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