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Trente secondes, tout un monde (éducatif)

     Sur cette vidéo, il ne se passe rien. Si elle était plus longue, on s’ennuierait clairement.

    Un chien observe son environnement puis son regard s’arrête sur un cheval, attentif lui aussi. Puis ce chien cesse de regarder l’animal, lequel serait effrayant pour lui s’il était plus près, puis revient à l’humain. Rideau.

 

     On le souligne assez peu, mais le « rien » a autant de valeur que l’action, en éducation. Peut-être même plus. On ne réalise que trop peu toutes les fois où le fait que notre chien ne fasse « rien » nous arrange(rait). Quand on veut nous même nous poser tranquillement. Quand nous sommes occupés à une tâche incompatible au fait d’interagir avec le chien. En balade, quand on croise une personne, un chien, un chat, un faisan, un chevreuil, un vélo, une voiture, un enfant qui court, des enfants qui jouent. Quand un passant longe notre grillage. Quand notre chien décide de regarder par la baie vitrée. Quand un ami arrive à la maison, ou l’électricien ou le livreur. Quand un congénère est agressif derrière une clôture. Quand un joggeur ou un quad passent un près et/ou vite, etc.

     L’éducation consiste essentiellement en la familiarisation avec tout ce que le chien pourrait rencontrer/côtoyer pendant sa vie, de façon à ce qu’il n’y soit pas sensible, ou alors très peu, ni positivement, ni négativement.

     La familiarisation, la désensibilisation n’ont rien à voir avec l’obéissance. C’est une affaire de confiance, de distance, de choix et d’une communication qui va dans les deux sens.

 

     Durant ces trente secondes, il ne se passe a priori rien, mais elles sont pourtant l’occasion de remarquer/apprendre des éléments importants en terme de communication :

  • La différence entre une observation et une fixation, pour s’y adapter en tant que guide pour le chien.

 

     Un chien qui observe et un chien qui fixe ne sont pas du tout dans le même état d’esprit.

     En dehors du cas particulier de conduite de troupeau par un chien prédisposé à ce comportement, la fixation prépare une charge, pour repousser le stimulus dérangeant ou pour capturer une proie. Quant à elle, l’observation, même très intense, ne prévoit rien (sur l’instant) ; c’est l’expression d’un besoin de récolter des informations, visuelles, sonores et olfactives, sur le stimulus.

     S’il est important de savoir faire la différence, c’est parce que l’une devrait souvent être interrompue*, tandis que l’autre devrait être respectée : le chien a le droit d’observer son environnement et de prendre des décisions en conséquence, aidé par son gardien au besoin.

* Je dirais qu'on n'interrompt pas un comportement de fixité/prédation quand...

1. le type de prédation est ponctuellement accepté, comme face à une taupinière ou lors d'une course derrière un lapin dans un espace sécurisé, par exemple.

2. elle concerne un congénère visiblement réceptif à la demande de distance de notre chien. En effet, un chien écouté dans sa communication n'est pas dangereux et la situation ne nécessite pas, dans ce cas, d'intervention humaine.

 

     Quand le chien fixe, tout son corps est tendu dans la direction du stimulus. Il n’est pas ou très peu réceptif au reste, comme « bloqué » sur l’objectif à atteindre. Souvent, sa posture s’abaisse sur l’avant, comme on le voit généralement sur le border collie face aux moutons, de façon très marquée. C’est moins flagrant sur d’autres races, mais le comportement reste bien lisible. Le chien peut même se coucher, bien droit, prêt à bondir, le regard rivé sur la cible.

     Quand le chien observe, son corps est plus haut, globalement plus souple, même si la crainte du sujet en cours d’analyse peut faire se tendre les muscles et le faire adopter une posture plus fuyante. Le chien n’est alors pas figé ; on peut voir bouger légèrement ses oreilles, sa truffe, sa tête. Sa gueule s'ouvre et se ferme régulièrement ; elle est fermée si la concentration grandit. Le chien qui observe est plus facilement distrait par autre chose et donc apte à se recentrer sur l’humain, qu’il l’appelle ou non.

     Il faut tout de même noter que notre canidé peut très bien passer de l’un à l’autre en une seconde. Par exemple, ici, si le cheval avait décidé de s’approcher, il est probable que Sangha serait passé en fixation, menaçant silencieusement, avant de faire une micro charge pour repousser cette grande bête trop impressionnante, si sa posture n’avait pas arrêté l’équidé. Mais on peut aussi observer l’inverse, quand un individu cherche à tenir à distance un congénère et que ce dernier s’adapte parfaitement aux signaux envoyés ; celui qui menaçait peut alors se détendre et se redresser, pour communiquer plus sereinement.

  • Le poids de la communication non verbale, que ce soit en longe ou en liberté.

 

     Nous parlons trop à nos chiens. Jusqu’à les rendre « sourds » à nos paroles, tellement ils ont l’habitude qu’on use de notre voix pour donner des informations inutiles ou incompréhensibles. L’humain est par ailleurs fier de montrer que son chien sait s’asseoir « qu’avec le geste », ce qui est très paradoxal car il est mille fois plus logique et donc facile pour un individu canin d’apprendre et de mémoriser un signal gestuel plutôt que verbal. Simplement parce que nos chiens sont des êtres qui communiquent d’abord par postures et mimiques.

     Tout cela pour dire que nous gagnons à nous taire et à chercher à communiquer autrement. Les déplacements et les changements de postures sont particulièrement efficaces, pour peu qu’on laisse du temps au chien pour apprendre à les remarquer, si on avait commencé par vivre avec eux en leur parlant souvent.

     Dans cette scène, tant que je reste immobile et une fois qu’il l’a remarqué, Sangha reste concentré sur le cheval. Cela aurait pu durer beaucoup, beaucoup plus longtemps, car Sangha est un jeune chien sensible à son environnement, ayant un grand besoin d’observer pour se sécuriser. De plus, ses gênes le prédisposent à être vigilant, à surveiller l’espace autour de nous. Au début, mon corps valide l’observation, car il est axé vers le stimulus. Il la soutient, en restant immobile en arrière, relativement proche. Ma position et mon attitude communiquent « tu peux prendre le temps de regarder et je suis là si besoin ».

     Après un moment, je décide de détourner mes épaules puis de me décaler, ce qui aspire immédiatement Sangha. S’il avait été en train de fixer, cela n’aurait pas été aussi immédiat ; l’état d’observation à la bonne distance lui permettait de rester ouvert au reste du monde et donc aux potentielles informations que je pouvais communiquer.

     On en revient au fait que, si l’on veut que nos suggestions/attentes soient « entendues », il faut bien avoir analysé la situation, afin de mettre fin à l’observation avant qu’une tension grandissante ne change la donne, par exemple. Ici, il n’y avait pas d’enjeu de ce type, car le cheval était suffisamment loin et ne venait pas sur nous, mais, en d’autres situations, il peut s’avérer nécessaire de faire sortir le chien de son analyse, notamment quand le stimulus auquel notre poilu est sensible est en train de se rapprocher.

  • Des outils de gestion ou de récupération émotionnelle ?

 

     Avec un chien émotif, capable de monter très rapidement en pression et/ou ayant possiblement du mal à se détendre après une difficulté, il peut être très utile d’emmener avec soi de quoi l’aider à moins/ne pas s’emballer et/ou à récupérer après une tension. Pour Sangha, le plus efficace, c’est qu’il ait quelque chose à tenir et mâcher. Sur une grosse difficulté incluant du mouvement, je le fais même poursuivre un jouet lancé. Mais il peut aussi arriver que je lui fasse simplement rechercher des friandises au sol.

     A la fin de la vidéo, on voit que Sangha mâche assez intensément l’altère en bois, près de moi. De façon générale, quand je le félicite, il peut facilement me sauter dessus, s’il n’a rien en gueule. Le jouet me permet soit de le laisser décompresser tout seul, soit de tirer un peu dessus pour le récompenser plus efficacement ou le détourner d’une situation qu’il ne saurait pas gérer seul, soit de voir de quoi il a besoin à un instant T : souvent, quand la difficulté est importante, il a trop besoin de mastiquer pour vouloir me donner le jouet, même s’il sait que c’est pour le lui lancer. Quand il vient coller le jouet dans ma main mais ne le lâche pas, il cherche seulement un soutien de proximité ou un exutoire dans la traction, il ne veut pas du tout me donner l’objet.

     Les jouets et les friandises ne sont pas que des récompenses. S’ils aident le chien face à l’adversité, nous aurions tort de les laisser au placard.

 

    Voilà. Juste un partage de trente secondes de notre quotidien en balade. Juste trente secondes qui reflètent parfaitement l’éducation qui me semble être la plus appropriée. Celle où la communication des deux parties est comprise par l’autre, même si subtile. Celle où l’on tient compte de l’émotionnel de chacun. Celle qui permet au chien d’être lui même et en confiance avec son bipède.

Margot Brousse ~ Freed Dogs

Article publié en mars 2024

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