La nourriture, le jeu...
Bien plus que des récompenses
Malheureusement, nous sommes dans une période où le conseil éducatif se donne - parfois se vend - comme des petits pains et se trouve dispensé par à peu près tout le monde, youtubeur comme membre de la famille ou du voisinage. Premier exemple récent que me vient : il y a quelques jours, je me suis retrouvée dans une famille à qui un moniteur de club avait dit que n’importe quelle race conviendrait à une vie de famille avec des enfants, même avec des gros horaires de travail, sauf le husky (quelle chance il a, celui là !). Un « merveilleux » conseil qui leur a fait adopter un braque, autrement dit un coureur émotif et réactif, concrètement. Comment reprocher ensuite à cet ado-chien d’être difficilement gérable dans une famille avec trois jeunes enfants ? Comment blâmer la famille de saturer sur les moments d’ingérence du chiot ? Bref…
Comme tout le reste, l’usage des récompenses alimentaires ou de jeu a ses partisans, ses détracteurs et même des entre deux, plus ou moins proches des extrêmes. Même tonton Michel a son mot à dire sur la question (« wah, qu’est ce que tu lui donnes comme gâteries ! » « Ah bah il écoute, oui, forcément, avec les friandises ! », « et tu fais comment quand t’as pas de gâteaux ? » ; amis de l’éducation positive, je suis sûre que ça va vous parler !).
En vérité, ces leviers alimentaires et de jeu sont de réels facilitateurs dans le quotidien avec son chien en apprentissage, mais ce n’est pas réellement le sujet de l’article… Non, cette fois, l’objectif ne sera pas d’expliquer l’intérêt du jeu et des friandises dans l’enseignement, mais de réaliser qu’ils sont loin de n’être « que » des récompenses de valeur.
Pour plus d’informations sur les récompenses :
➔ Pourquoi la caresse n’en est pas (vraiment) une
➔ Bien choisir un type de récompenses
Une source d’occupation autonome
Si l’on se contente d’utiliser jouets et nourriture pour récompenser, on passe à côté d’une sacrée opportunité d’apprendre au chiot/chien :
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qu’il peut s’occuper sans nous et se sentir bien même si on ne lui prête pas attention,
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qu’il peut relever des défis s’il réfléchit, s’implique, ne se décourage pas,
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que nos absences sont quelque chose de positif.
Tant de chiens inquiets quand ils sont seuls, dépendants de l’humain face à un problème (balle à peine sous le meuble, friandise sous une couverture ou dans un jouet à pousser…), incapables d’accepter de ne pas être au centre de l’attention (harcèlement vocal ou physique, suivi intempestif)…
Tous ces désagréments humains et canins peuvent être évités si, dès chiot, Toutou a de quoi s’occuper sainement et sans intervention humaine. Pour cela, il lui faut des défis faciles à relever, pour lui donner confiance et l’entraîner à persévérer. Certains jouets distributeurs sont très durs à vider ! Il faut en choisir des très simples, pour commencer. L’idée, ce serait de ne pas avoir à aider le chien. S’il a besoin d’un coup de pouce au début, il faudrait que ce soit juste pour comprendre le but du jeu, puis qu’il répète rapidement l’opération en autonomie.
S’il fallait désigner quelques indispensables, je mettrais en avant :
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Le Kong ou la canette Sodapup
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Un tapis de léchage type Lickimat
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Un tapis de fouille (qu’on peut fabriquer soi même)
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Des mastications durables à disposition : sabots, corne de mouton, bois de cerf fendu, fromage de yack…
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Des mastications de faible et moyenne durées, plusieurs fois par semaine : oreilles, tendons, peaux… A essayer au préalable et à mettre dans des jouets sécuritaires si on compte s’absenter !!!
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Selon le type de chiens et son potentiel besoin de déchirer/détruire : des cartons, des sachets en papier, des bouteilles plastique… mais attention à bien vérifier que le chien se contente de détruire et n’avale pas de morceaux.
Le chiot qui a son environnement enrichi apprend à s’occuper seul, accepte plus facilement de ne pas suivre l’humain partout et se prépare sereinement pour les futures absences. Ce serait dommage de s’en priver !
Des moyens de désensibilisation aux soins
Certaines personnes sont en conflit avec leur chien au moment du brossage et, hop, un tapis de léchage sous le nez et le brossage devient un plaisir pour tous.
Le chiot, porté sur la table du véto, qui trouve tout plein de bonbons dessus a des chances d’être motivé à monter, les prochaines fois.
Le chien qui lèche son tube de pâtée pendant que l’ostéo le manipule vit mieux voire bien la situation, comparé au chien qu’on force à être patient pendant la séance.
Le chiot à qui on doit mettre des gouttes dans les yeux, qui tient et tire son jouet pendant qu’on pratique le soin, n’a aucun souci avec l’application du produit (vécu personnel).
Ce ne sont que des petits exemples. Un paquet de fois, la nourriture ou le jeu peuvent dédramatiser une situation ou même la rendre agréable. Attention : les chiens faisant de la protection de ressources sur nourriture ou jouet ne sont pas concernés par ce point ! Ou alors, il faut voir avec un professionnel comment le soin peut être abordé et rendu plus neutre ou plaisant, sans risque.
N’hésitez pas à vous renseigner sur les soins low stress !
Des distractions possibles pour gérer la difficulté environnementale
Toby est très excité quand des invités arrivent : il aboie, saute après les gens (qui n’ont JAMAIS l’attitude qu’on voudrait qu’ils adoptent et renforcent Toby dans son excitation/appréhension). En lui offrant un succulent tapis de léchage au moment où les invités rentrent, en visuel de la porte mais le plus loin possible d’elle, il est probable que Toby ne se précipite pas pour accueillir les personnes. S’il va voir les gens, il y a fort à parier qu’il les délaissera vite pour aller déguster son plateau.
Matrix déteste la voiture du facteur : quand il la voit, il se jette contre la baie vitrée en aboyant comme un enragé. En donnant une mastication facile à manger et savoureuse à Matrix au moment où la voiture va se garer devant chez nous, il y a des chances pour qu’il décide d’aller la grignoter dans son panier, évitant ainsi de se retrouver face au déclencheur.
Daemon est agressif envers les chiens qu’il doit croiser à moins de 20m. Pas de chance, on se retrouve coincés avec un chien devant et un autre derrière, sur un chemin qui ne permet pas de s’éloigner à plus de 10m sur un côté. Daemon va sûrement réagir, même en s’éloignant au maximum. Il faut s’y préparer. Mais peut-être qu’avec son tube de pâtée préférée, distribuant la pâte en continu, alors que l’élément perturbateur passe devant, Daemon sera capable de rester concentré sur la nourriture et « oubliera » la source du problème.
Dans ce genre d’exemples, la nourriture n’est pas une récompense ; elle est une sorte de leurre qui va aider l’humain et son chien à se sortir d’une situation compliquée. Si la technique ne fait pas forcément progresser Toutou dans sa problématique, elle a au moins le mérite d’épargner du stress au chien comme à son gardien et, en ce sens, elle vaut la peine qu’on recourt à elle aussi souvent que nécessaire.
Des outils de gestion émotionnel
Guenji aboie parce qu’on toque à la porte. Alors on lui jette une poignée de bouts de saucisses à chercher, devant son nez. On en remet plusieurs fois, surtout si les aboiement perdurent.
Nagg entend le four biper et, irritée, elle court aboyer devant. Donc, dès que le four bipe, qu’elle ait aboyé ou non, qu’on soit dans la cuisine ou le salon, elle reçoit quelques friandises, le temps que le bip cesse.
Petit chiot qu’il ait, Sangha a vu un chien, au loin. Il se hérisse et grogne. Alors on lui fait la fête et lui offre un jouet sur lequel on tire en le félicitant.
Seth, malinois excitable et sensible, se retrouve en difficulté face à un exercice qu’il ne comprend pas, donc ne fait pas. Il couine, saute sur l’humain, jappe. On lui donne alors sa balle.
Tim, chien roumain très anxieux, menace un invité rentré dans son jardin, même s’il reste sur la défensive. A ce moment là, on lui balance des poignées de ses bonbons préférés.
Ce rapport au jouet et à la friandise, c’est probablement la dimension qui échappe le plus à l’humain qui pourrait avoir l’impression de récompenser le « mauvais » comportement. A ce titre, le bipède a souvent des réticences à sortir son jouet ou ses friandises, car parfois le chien fait exactement ce que son gardien ne veut pas. En vérité, l’humain a peur de motiver le chien à reproduire le comportement indésirable, ce qui est compréhensible, en soi.
Mais le cerveau est beaucoup plus complexe que cela. Le chien qui déborde émotionnellement aura du mal à faire les associations qu’on aimerait (ou celles qu’on n’aimerait pas !) La priorité d’un gardien bienveillant devrait toujours être de maintenir ou ramener son animal à un stade émotionnel neutre, éventuellement joyeux, sans débordement.
Offrir de la nourriture ou un jouet à un chien qui agit par peur ne renforce pas sa peur, au contraire. Cela lui permet éventuellement de faire de nouvelles associations plus positives avec la situation. De même, offrir de la nourriture ou un jouet à un chien qui s’énerve ou s’excite démesurément ne lui enseigne pas à reproduire cet état pour déclencher le jeu/les friandises. Le chien est trop « haut » pour prendre conscience de ce genre de parallèles ; il a seulement besoin d’aide. Or, pour tous, si c’est entraîné, chercher et manger est apaisant. Pour certains, tenir en gueule, mâcher, tirer est salvateur car permet d’évacuer son trop plein émotionnel.
Sangha, mon jeune chien, gère mille fois mieux une situation complexe en ayant un jouet en gueule. Les exemples de Nagg et Guenji sont également véridiques. Aujourd’hui, Nagg n’aboie plus : elle vient me trouver pour avoir un bonbon (« eh ! J’ai entendu le four, tu me donnes un truc ?? », voilà un état beaucoup plus cool pour tout le monde !), même s’il m’arrive de ne rien lui donner, désormais. Quant à Guenji, le travail est toujours en cours et, pour le moment, j’évite de créer le problème en demandant aux personnes d’envoyer un SMS à leur arrivée, plutôt que de venir frapper. A ce jour, si les personnes sont annoncées et que la nourriture est présente, elle peut ne pas aboyer du tout ou émettre juste un jappement sourd, au moment où l’invité entre chez nous.
Dans la même idée, je vois très souvent, en milieu de rééducation, des chiens venir chercher la nourriture et rester tout près pour en avoir en continu, car cela les rassure.
Ce qu’il faut retenir de tout ça ? Que la priorité est la stabilité émotionnelle de tous et que, si le jouet comme la nourriture peuvent permettre d’enseigner le « bon » comportement, ils sont aussi une béquille pour faire évoluer des émotions dans le sens qui nous arrange, même si on donne les « récompenses » sur un comportement qui a priori ne nous convient pas.
En fin de compte, considérer que le jeu ou les friandises ne sont que des outils de récompenses est fortement réducteur. Ils ont un pouvoir beaucoup plus fort et il ne tient qu’à nous d’exploiter tout leur potentiel, pour accompagner notre chien dans ce qu’il ressent et qui parfois le dépasse.
Margot Brousse - Freed Dogs
Article publié en décembre 2023