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Savoir tenir compte du contexte dans les apprentissages

     Je ne saurais dire combien de fois, du temps où j'étais monitrice bénévole en club, en cours avec de nouveaux arrivants, j'allais expliquer comment obtenir un « assis » consenti et où l'on m'a coupée dans mon élan en affirmant : « oh mais il sait s'asseoir ».

- Vous pouvez le lui demander, là ?

- Oui. « (Médor) Assis. Assis. Allez, assis. (Médor) Assieds-toi. Assis.

     Avec de petites variantes. Et Médor finissait effectivement par poser ses petites fesses sur le sol, parfois "aidé" d'une main appuyée sur sa croupe.

      Souvent, les participants n'avaient même pas besoin qu'on parle du « assis » pour le répéter en maintes occasions à leur animal ; à peine entrés et placés sur un coin du terrain, beaucoup cherchaient à canaliser leur jeune chien qui tirait dans tous les sens avec ce « assis » auquel peu de poilus répondait positivement.

      Ce genre de situations vous est familière ?

     On devrait d'abord se demander si un chien à qui on a besoin de répéter une demande maîtrise réellement cette consigne. Si Médor sait s'asseoir sur demande (car, mécaniquement, il sait, bien sûr), il n'a théoriquement pas besoin qu'on joue les perroquets. En vérité, très peu de chiens maîtrisent entièrement les comportements apparemment acquis. Pour le vérifier, je vous propose ce petit test, avec le plus utilisé des mots après le « non », probablement, un des tout premiers apprentissages que l'humain croit nécessaire à l'éducation : le « assis », justement.

     Mettez-vous au calme avec votre chien et asseyez-vous par terre. Demandez ensuite votre « assis », avec votre ton habituel. Je suis presque sûre que la majorité de vos loulous va soit vous débarbouiller le visage, soit s'affaler contre vous, soit vous proposer un beau « couché ». Oui, ces mêmes chiens qui, certainement, n'ont aucun mal à s'asseoir du premier coup quand vous le demandez chez vous en temps normal.

      Et pourquoi ce résultat, alors ?

     Parce que rien n'est finalement normal du point de vue du chien, quand vous prononcez ce mot connu mais en arborant une attitude non conforme au vocabulaire en même temps (en l'occurrence, être assis au sol). Pour dire les choses simplement, vous avez appris à votre chien à s'asseoir en étant debout devant lui ; de ce fait, à partir du moment où vous changez de comportement global (en vous asseyant vous-même), pour lui, vous n'émettez plus le même message, donc il ne peut plus produire le même comportement.

     Nos chiens communiquent avant tout par postures et mimiques. Notre langage corporel est bien plus important pour eux que les mots que nous choisissons. Si vous levez votre bras au dessus de sa tête en demandant « assis », comme certains le font sur l'image en arrière plan, il est déjà plus probable que vous obteniez la réaction voulue, dans notre exemple.

    Cette expérience prouve qu'il ne faut pas considérer acquis un ordre qui ne l'est finalement que dans un tout petit contexte, dans un fragment de notre vie avec nos chiens.

    Je vous disais que très peu de chiens maîtrisaient finalement une commande en tant que tel, mais c'est valable pour le plus « obéissant » des chiens ! Si je demande à Guenji de s'asseoir dans un cours d'eau, elle ne le fera pas. Si je demande a Nagg de s'asseoir sur mon dos après y être monté, elle ne le fera pas. Dans le cas de Guenji, la gêne que constituerait la sensation de l'eau sous les fesses empêche la prise de position. Il y a des chiens qui s'en moqueraient, mais sa sensibilité individuelle pose difficulté sur ce point. On pourrait avoir la même chose sur un sol humide ou simplement froid, avec un individu frileux ou détestant se salir/mouiller. Pour le cas de Nagg, ma posture ne m'autoriserait pas à effectuer le bon geste pour l'aider à agir et renforcer la position dans ce contexte précis, afin qu'elle y parvienne. Il me faudrait un assistant, pendant un temps.

 

     Tout cela pour vous dire que ce n'est pas parce que notre chien exécute son « assis » en un clin d’œil au calme à la maison qu'il agira de même dans la rue, en forêt, chez nos amis, chez nous mais avec vingt convives autour, en club ou en sorties avec des congénères. J'irai jusqu'à dire : qu'il devra agir de même, d'emblée. Le contexte fait tout ; il conditionne presque totalement l'attention et l'écoute de notre compagnon.

     Le chien ne fait pas qu'associer un mot à un comportement dans nos apprentissages positifs, comme nous le croyons souvent ; il y associe également un contexte. C'est pour cela que beaucoup de toutous ont un magnifique « pas bouger » devant leur gamelle mais qu'ils sont incapables de rester en place en dehors de ce cas particulier. Combien de fois entend-on aussi « il revient bien, mais quand il n'y a rien autour » ? En balade au calme, le chien peut facilement choisir de revenir à son humain, car peu de choses peuvent lui faire concurrence, sauf à avoir un poilu très branché odeurs/pistes. Dès que des personnes ou d'autres animaux apparaissent, les priorités de Toutou sont vite revues et l'envie de/la capacité à revenir en prend un coup. Pour mieux comprendre cela, vous pouvez vous intéresser à l'exemple traité dans cet article.

     Chaque commande que nous souhaitons voir maîtrisée un jour doit être alors travaillée :

     Et il faut bien tenir compte des difficultés que suppose le changement d'environnement. Ces dernières influent sur l'émotionnel du chien et donc sur ses réponses comportementales.

     

     Admettons qu'on vise une quasi perfection d'écoute du fameux « assis » (dont on devrait avoir cure, mais ça, c'est une autre histoire !)*, il faudrait procéder par étape :

  1. Gravir les étapes 1 à 4 dans notre intérieur, au calme.

  2. Procéder de même dans notre jardin et/ou devant chez nous.

  3. Procéder de même en balade dans un lieu peu distrayant (grand bois désert un jour de pluie, petite ville un dimanche après midi, immense champ sans passage de piétons ou animaux etc.)

  4. Procéder de même en balade en augmentant progressivement la distraction (obtenir son assis quand un autre chien est en laisse sur l'autre trottoir, quand des enfants chahutent au loin, sur un parking passant mais où personne ne vient chercher le contact etc.)

  5. Procéder de même dans un milieu très distrayant (pendant que des chiens jouent tout près, alors que les enfants chahutent dans la même pièce, alors que vous croisez un groupe de cavaliers etc.)

   Il n'y a pas de limites, finalement. Plus nous travaillons graduellement et dans des situations et milieux variés, plus notre chien sera à même de produire le comportement dans des contextes difficiles (à condition de respecter une progression adaptée à votre animal, bien entendu).

Pssst, pour avoir un chien qui sait être calme et patienter, pas besoin d'ordres d'immobilité, au contraire ! Enseigner le calme par défaut, c'est une histoire de gestion d'environnement et de renforcement des proposition de tranquillité, pas d'obéissance 🙃

 

    Ce qu'il faut comprendre, c'est que notre chien ne choisit pas de nous ignorer délibérément quand nous lui demandons de s'asseoir dix fois au milieu d'un groupe de chiens, comme c'est le cas en club, et même si on dispose des tonnes de gâteaux sous sa truffe ! Si nous avons toujours travaillé dans la tranquillité de notre logement ou dans notre campagne isolée, il est, à bien y réfléchir, logique que cela ne fonctionne pas. Pour le chien, d'un coup, le milieu a changé, le contexte a changé, l'agitation est à son comble et tous ces bouleversements le rendent incapable de se concentrer sur nous et notre demande : Toutou est euphorique ou bien inquiet, donc pas en mesure de cesser de s'agiter ou de surveiller.

      Tenir compte de ce qui pourrait influencer votre chien dans son écoute, c'est aussi tenir compte de son état d'esprit, de sa capacité de concentration à tel moment, eux-mêmes étant directement liés au milieu ambiant, autour de notre attente d'obéissance ou de réceptivité.

    Quand nous changeons de milieu et augmentons de ce fait la difficulté (en augmentant l'intérêt ou la méfiance envers la nouveauté, diminuant de fait la capacité de concentration), il faut revoir à la baisse nos exigences habituelles. Cela signifie juste que si chez nous, le « assis » marche du premier coup et sans friandise dans la main, dehors, dans un premier temps...

  • il faudra interpeller notre chien pour s'assurer qu'il est capable de se connecter à nous avant de demander quoi que ce soit. S'il est réceptif à son prénom, il y a des chances, soit qu'il propose de lui même un "assis" attentif qu'on devra récompenser, soit que le leurre soit fonctionnel, pour reprendre l'apprentissage de zéro dans ce contexte précis.

  • S'il n'est pas réceptif à l'appel ou nos mouvements, on pourra chercher à mettre de la distance entre les stimuli perturbants et nous, pour réessayer de l'interpeler, un peu plus au calme.

  • Si la prise de distance n'aide ou n'est pas possible, il faudra renoncer à cette demande pour le moment, car le chien n'est visiblement pas disponible et nous risquons seulement de nous frustrer s'il ne coopère pas.

     J'insiste : récompenser à chaque fois n'est pas néfaste, c'est même capital sur une assez longue période ! Ce n'est pas la haute fréquence de nos récompenses qui rend le chien dépendant mais bien notre manière d'utiliser la nourriture.

 

     Quels facteurs sont compris dans l'idée de contexte, en fin de compte ?

  • L'environnement immédiat : ce qu'il se passe autour du chien et nous, les sources de distraction visuelles, auditives ou olfactives, le niveau d'agitation plus ou moins proche et inhabituel.

  • L'humain : est-ce le même que d'habitude qui formule la demande ou tient la laisse ? Est-ce que la gestuelle et l'attitude corporelle sont conformes ? Est-ce le bon vocabulaire ? Dans quel état d'esprit est-il ? Détendu ou énervé ? Joyeux ou déprimé ? Quelles récompenses a-t-il dans les poches, dans la main ? En a-t-il d'ailleurs ?...

  • Le chien : ce qu'il a appris à faire et dans quel type de milieu, son état émotionnel du moment, sa capacité de concentration générale, sa propension à se connecter à l'humain, son intérêt pour les récompenses qu'on a sur nous, son intérêt pour les stimulateurs autour, sa tendance à monter rapidement en émotions ou pas...

     Toutes ces données sont à analyser et à prendre en compte pour savoir s'il est réellement pertinent de demander quelque chose ou même d'attendre qu'un comportement se produise.

    Tâchons d'être compréhensifs et bienveillants avec nos poilus. Avez-vous déjà essayé d'obtenir une réponse d'un enfant vautré dans le canapé, plongé dans son dessin animé préféré ? Pas facile, hein ? Et pensez-vous que le mieux pour réviser des leçons soient de mettre cet enfant devant la télé en même temps ? Je ne pense pas.

     Soyons simplement logiques dans nos demandes d'interactions. Prenons l'habitude de les appeler, d'attendre qu'il soit réellement avec nous, pour leur demander quoi que ce soit. Et prenons le temps de leur apprendre ce que nous espérons voir acquis un jour, sans saccade, en suivant une progression aussi lente que nécessaire et en cernant bien les difficultés du milieu dans lequel nous évoluons à un instant T.

Margot Brousse - Freed Dogs

Article publié en juillet 2019

Revu en janvier 2024

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