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Gestion du besoin de dépenses du chiot

     En adoptant un chien, vous vous engagez normalement à respecter sa nature de carnivore opportuniste domestiqué. Vous êtes donc censés vous plier à un certain nombre de règles pour satisfaire ses besoins essentiels, allant du plus basique, comme lui fournir une nourriture qui lui convient et à sa faim, à des besoins que l’humain a tendance à juger (à tort) comme superficiels, tels les sorties hors du jardin ou les stimulations mentales.

     Ne pas respecter les besoins du chien, c’est, logiquement, aller droit dans le mur sur un plan éducatif. A cause de cette équation résumée :

Besoins négligés = perte Progressive de contrôle moteur et cérébral

= apprentissages laborieux voire impossibles

Besoins satisfaits = meilleur contrôle moteur et cérébral

= apprentissages possibles

 

L'envie et le besoin

      Quand on a un chiot, il est souvent difficile de savoir faire le tri entre les envies et les besoins du petit bout. Pourtant, ce sont des concepts très différents. Un chiot qui a besoin de jouer en a souvent envie, mais pas toujours, tandis qu’un chiot qui a envie de jouer n’en a pas forcément besoin. Et c’est valable pour tout. Cela s’illustre très bien par la nourriture : un chiot gourmand aura bien souvent envie de nourriture alors qu’il n’en a pas ou plus besoin / un chiot difficile aura très peu souvent envie de nourriture et mangera le strict nécessaire.

     Le chiot est un individu en construction et il est très important de combler ses besoins, pour qu’il puisse se sentir bien et soit capable d’apprendre, comme nous le disions, mais il est aussi capital de doser les activités qu’on lui propose en fonction de ce qu’on sera en mesure de lui offrir plus tard. C’est-à dire qu’on cherchera à satisfaire ses besoins et, éventuellement, à répondre à des envies de dépenses diverses, tout en étant conscient qu’il y a des limites à ne pas dépasser en terme d’envie, si l’on veut que le chiot se développe convenablement.

 

     Pour y voir plus clair, j’utiliserais deux exemples réels (les noms ont simplement étaient changés) :

  • Ringo est un jeune kelpie de six mois. Ses humains sont un couple de retraités présents et actifs. Ils ont craqué sur le physique de sa race avant tout et l’éleveur n’a pas vu d’inconvénient à confier un chiot de lignée travail à des personnes peu absentes, investies et mobiles. Aujourd’hui, Ringo est promené deux fois par jour et sort deux à trois heures. Il joue au bâton pendant sa balade. Il joue dans le jardin également. Il vole régulièrement tout un tas d’affaires et ne les rend pas. Malgré tout, il persécute ses humains : il saute, mordille, chevauche compulsivement en leur présence. Ringo se sait pas du tout se maîtriser et est totalement ingérable avec les invités auxquels il n’a plus accès tant il est violent et insistant. Pourtant, depuis petit, Ringo est allé en club canin pour avoir des bases et on lui a toujours donné beaucoup d’activités par le biais des sorties ; on s’est donc bien appliqués à répondre à ses théoriques besoins de chien vif, agile et intelligent.

  • Khéops est un berger australien de trois mois et demi. C’est un chiot à la vie de rêve auprès d’une maîtresse très disponible et passionnée. Khéops est promené longuement deux à trois fois par jour, on joue à la balle et à la corde avec lui, il fait de la recherches de friandises dans la maison ou dans le jardin, il a des jouets et cornes/sabots à mâcher et des sessions d’éducation avec récompenses, le tout tous les jours. Un tableau idyllique, a priori. La vérité, c’est que son humaine est déjà débordée. Dès qu’elle se pose sur le canapé dans l’espoir de lire tranquillement, son chiot lui bondit dessus et la mordille au visage. On lui a conseillé de dire « non », de le faire descendre immédiatement, mais Khéops recommence sans cesse et il fait de plus en plus mal. Plus on est brutal avec lui, plus il répond fort. Alors il est isolé. Mais quand il revient, bien souvent, le manège reprend de plus belle… Pourquoi, s’il a tant de choses à faire en dehors de ces moments-là ? Il devrait être fatigué !

 

    La grande majorité des chiens de famille sont encore négligés dans leurs besoins de dépense, mais il y a quelques individus qui tombent sur des personnes trop bien intentionnées, si je puis dire, des personnes qui savent qu’elles prennent un chien ayant de gros besoins de stimulations, d’activités, en général. Ils veulent justement un chien naturellement actif pour faire de très grandes rando, du vélo, du canicross… Alors, dès petit, elles s’investissent, elle donnent au chiot sans compter. Elles donnent, parce qu’un chien stimulé est un chien heureux, non ?

     Des nuances, toujours. Les nuances sont bien souvent la clé.

 

    J’ai vécu en appartement tout en étant élève de classes préparatoires avec deux gros chiens pendant deux ans. Cela impliquait des absence de 8 à 12h consécutives. Le scandale !! Aucun refuge, aucun éleveur digne de ce nom ne m’aurait confié un chiot. Pourtant, mes chiennes allaient « bien ». Quand j’ai fait des horaires plus décents et ajouté un jack russell au lot, toujours dans mon 50m², mes chiennes allaient toujours « bien ». J’entends qu’il est compliqué d’évaluer une sorte de niveau de bonheur/satisfaction sur un animal qui ne risque pas d’en parler, mais j’avais des chiennes sans trouble du comportement, qui apprenaient sans aucune difficulté, sans réactivité, sans perte d’auto-contrôles, peut-être plus fiables encore que maintenant que je les laisse parfois partir en courant derrière des oiseaux en campagne. Croyez-le ou non, il est très difficile de faire de l’agility « proprement » avec un chien qui déborde émotionnellement (il faut tenir les départs sans bouillonner, il faut rester à l’écoute pendant la course alors que l’humain court aussi, il faut respecter les obstacles et ne pas fracasser toutes les barres, il faut pouvoir rester sur les zones avant la libération, il faut ne pas être « taré » hors du terrain sur les concours, face aux autres chiens courant et aboyant etc.) Pourtant, mes chiennes étaient aux croquettes, à une gamelle par jour dévorée rapidement ; elles avaient peu de choses à mâcher par méconnaissance de ma part, moins de visites. On jouait peut-être plus à la balle. Elles jouaient parfois avec le border collie qui vivait au dessus. Et je courais avec elles, tous les deux à trois jours, en plus des petites balades quotidiennes.

      Attention : je ne suis pas en train de dire que n'importe quel chien en sous activité le supportera aussi bien, justement. Si j'avais eu mon chiot berger hollandais, Sangha, à l'époque, il est très probable que ce rythme de vie aurait engendrait l'apparition de troubles. D'ailleurs, entre quatre et dix mois, Guenji détruisait des objets dans la maison, durant les absences, signe que quelque chose clochait : normal, aucun chien ne devrait subir un confinement si long cinq fois par semaine.

     Est-ce qu’elles sont plus heureuses maintenant ? On peut raisonnablement le supposer. Ce qui est sûr, c’est qu’elles seraient malheureuses si l’on revenait en arrière, maintenant qu’elles ont connu le BARF, des absences très relatives, plus de stimulations via la mastication plus régulière, la recherche, des promenades souvent plus longues, tandis que le jardin permet de faire agility/hooper/frisbee quand bon me semble et qu’elles ont régulièrement une mission dans mon travail, face à certains chiens de clients etc.

 

Pourquoi discriminer et réguler ?

     Là ou je souhaite en venir, c’est au dosage essentiel des activités qu’on propose à un chiot, cet individu en formation quasi constante, surtout s’il est issu d’une ou plusieurs races réputées pour leur besoin de « se dépenser ». Ce dosage devrait s’adapter de façon à couvrir ses besoins d’individu propres, tout en veillant à ne pas l’emmener sur des terrains glissants (pour lui et surtout pour vous).

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     De fait, en grandissant, le chiot évolue dans ses besoins : il est plus explorateur, plus intrigué par son environnement, normalement plus confiant et indépendant ; son caractère se développe et se précise au contact d’une monde qui l’entoure, de ce qu’on a cherché à lui apprendre ; ses essentiels de dépense deviennent forcément plus importants, car il est physiquement plus endurant et que son besoin de repos diminue progressivement. J’attirerai donc votre attention sur ce dernier point.

     Il est évident qu’un chiot à qui on donne beaucoup sera un ado - puis un adulte - qui en demandera encore plus, pas parce qu’il aurait ontologiquement (par essence) eu besoin d’autant pour se sentir bien, mais parce que vous l’avez « entraîné » à avoir besoin de tout cela. A ce stade, le chien n’a plus simplement envie d’en faire plus que nécessaire ; c’est devenu un besoin, un besoin réel et difficile à réduire…

     Ce même chiot devenu chien pourra donc avoir des soucis de fugue, de réactivité, d’aboiements très fréquents, voire des TOC comme le fait de chasser les ombres ou sa queue, dans une famille, et être un individu beaucoup plus stable dans une autre. Cela dépendra de la façon dont sont gérées ses temps d’activité dans ses premiers mois de vie (et de l’éducation mise en place à côté, évidemment).

 

     Finalement, il n’y a pas de problème à apporter juste le nécessaire à un chiot et jeune chien, pour finir, adulte, par lui en donner plus que ce qu’on pensait pouvoir offrir un jour, quand on l’a eu – le cas que j’ai vécu. Cependant, l’inverse n’est pas valable : vous ne pouvez pas satisfaire toutes les envies (en plus des besoins) de votre chiot et espérer que cela en restera là. Certains chiots, comme Khéops, « explosent » très rapidement et la vie avec eux peut devenir une plaie en quelques semaines. D’autres, moins excitables, voient peu à peu augmenter leur palettes de comportements gênants. Il est en fin de compte assez rare que le chien ne réagisse pas à un manque ou à un trop plein d’activités, au fil des mois, même si, parfois, selon la race et le tempérament du poilu, l’œil humain ne le détecte pas bien ou tardivement.

     Pour le chiot, pour son bien-être et celui de sa famille, il est essentiel d’apprendre à ne rien faire, à lâcher prise, à gérer les refus de contacts, à se reposer malgré des stimulations relatives autour.

 

Mais alors quel est le bon dosage ?

 

     Ce serait bien trop simple, vous pensez, si moi ou un autre pouvait vous donner un emploi du temps précis, où seraient répartis les temps de repos, de repas, de jeux, de balades, d’éducation, de mastication etc. Désolée mais il n’y a pas de programme idéal par race de chiot. En théorie, un bébé golden aura des besoins un peu moins conséquents qu’un bébé border collie, mais cela reste de la théorie car chaque chiot est un individu à part entière.

      En revanche, il y a des conseils généraux qu’on peut appliquer facilement :

  • Favoriser le calme et l'autonomie en intérieur. A tort, on sollicite beaucoup le chiot, par du jeu ou des exercices. S'il n'y a pas de mal à travailler des petites choses au moment des repas, il faudrait éviter de chercher à occuper le chiot par des activités à faire ensemble en intérieur. Un chiot qui se sent bien quand on ne s'occupe pas de lui est un impératif de bon nombre de familles et, en étant trop "sur" le chiot, on risque de créer un besoin d'interagir constamment et même une intolérance aux absences. Un chiot doit dormir, explorer, mastiquer, jouer dans son coin.

  • Eviter de fournir des activités physiques longues avant 4 à 6 mois. Que ce soit par des jeux ou des balades, il faut à la fois préserver le chiot d’un point de vue physique mais également psychologique : plus le chien pratique longtemps, plus il devient endurant et plus il sera en demande. => Sortez souvent mais peu longtemps / Jouez une à deux fois par jour mais seulement quelques minutes.

  • Eviter de laisser votre chiot seul dans le jardin. Pour lui qui découvre tout, votre terrain est une source inépuisable de stimuli divers et pas forcément bons pour son développement. Le chiot qui est beaucoup dehors seul peut passer son temps en éveil et renforcer sa capacité à rester en veille non stop (en plus de motiver son indépendance et de nuire potentiellement à son rappel). => Sortez avec lui, même dans votre jardin ! Et surveillez-le, n’en profitez pas pour faire autre chose, à moins qu’il roupille au soleil ou soit occupé avec quelque chose à mâcher.

 

  • Eviter d’enchaîner les activités ludiques. Instaurez des temps de pause entre vos stimulations, même intelligentes. Beaucoup de chiots sont surexcités en rentrant de balade, ce n’est pas pour autant qu’il faut jouer avec eux dans l’idée de les calmer ! Rangez ce qui risque, ignorez le poilu et laissez de quoi décompresser par mâchonnage. Le chiot fatigué ne le ressent pas forcément et, s’il reste stimulé, il ne peut pas s’en rendre compte et choisir de se reposer.

 

  • Récompenser son calme en intérieur. Donnez une friandise en silence dès que votre chien s’assoit, se couche, se pose quelque part et choisit de ne rien faire. Montrez-lui qu’il est payant de ne pas agir sur et dans son environnement, de ne pas chercher constamment de l’attention.

  • Rechercher un équilibre global. Si vous passez une journée chez des amis en extérieur, sortez à peine le lendemain, ne faites pas d’exercices particuliers. S’il rencontre un copain pour jouer sur sa balade et court avec lui quelques minutes, écourtez votre sortie. Si vous l’emmener à la découverte d’un marché, faites une promenade de moins et/ou zapper la séquence jeu etc.

 

  • Mettez l’accent sur des exercices qui demandent plus de travail à la tête qu’au corps. Faites rechercher le contenu de sa gamelle dans la pelouse par exemple. Faites le choisir parmi ses jouets avec lequel il souhaite s'amuser. Offrez lui des jouets à vider, que ce soit par le léchage ou en faisant tomber les friandises. Travaillez sur des exercices d’auto-contrôles où l’on apprend ludiquement la stabilité, la gestion de la frustration, le calme... Surtout, travaillez en medical training ! N'importe quel chien aura besoin d'être soigné, examiné : c'est dès chiot que le terrain se prépare !

 

  • Si vous avez un chien potentiellement réactif au mouvement, comme le sont souvent les chiens de chasse, les bergers et les terriers, évitez les jeux de lancers pendant cette période de « façonnage ». Pour moi, on ne devrait pas faire courir le chiot derrière un objet en mouvement tant qu’il n’est pas capable, de lui-même, d’ignorer le jeu en mouvement justement. D'autant qu'un chiot n'est pas physiquement apte à démarrer fort, poursuivre, freiner, faire demi tour : il n'est pas assez musclé, son corps n'est pas prêt pour un tel effort.

Margot Brousse Freed Dogs

Article publié en août 2021

Revu en janvier 2024

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