top of page

  Les récompenses :

pour un usage profitable à tous

     Encore beaucoup de propriétaires sont réfractaires à l'idée d'utiliser des récompenses – notamment alimentaires – pour  « faire obéir » leur chien. Ils pensent que leur animal aura toujours besoin de friandises pour écouter et que le jour où, pour x raison, ils n'en auront pas sur eux, ils n'obtiendront rien de leur toutou. C'est oublier que les récompenses ne sont pas faites que de nourriture : le jeu, la voix, les caresses en font également partie. Toutefois, l'objectif de cet article est avant tout de vous montrer que la vision que l'on peut avoir de l'usage de la friandise est biaisée car en partie simplifiée.

 

André Escafre et la prégnance des caresses

 

     L'éducateur auquel j'ai déjà fait référence dans l'article sur le jeu est contre l'usage de nourriture dans les apprentissages. J'ai bien dit « les apprentissages ». Parce que non, ce n'est pas parce qu'on utilise des friandises pour apprendre au chiot ou au chien à adopter tel comportemen que cela nous condamnera irrémédiablement à être des knackis ambulantes toute notre vie ! Comme le clicker, la friandise est censé être une aide, un facilitateur, pas une vocation ou une méthode « prison » qui nous fige dans un marchandage quotidien. J'insiste sur le terme de « marchandage » car c'est justement Escafre qui l'emploie : l'éducateur pense que les récompenses alimentaires créent un lien purement factice entre le chien et son gardien, un lien tissé uniquement par la manipulation des deux parties, tour à tour, le chien apprenant lui aussi rapidement comment tirer profit du système pour finalement ne jamais obéir sans nourriture à la clé.

     Escafre affirme que seules la caresse et la voix devraient nous servir à récompenser notre animal et que, de toute façon, la caresse sera toujours préférée des chiens car elle serait une véritable source de motivation en soi, attirante mais « sans excès », pour le citer. Il écrit également qu'avec les friandises et le jeu, le chien apprendrait à être méfiant de la main et à mordre en cas de gestes trop brusques. Autant j'ai pu établir une corrélation entre ladite morsure et le manque d'auto-contrôle dans le jeu, autant je cherche toujours le lien avec les friandises... Probablement en cas d'attirance démesurée du chien qui ne se maîtriserait pas en présence de nourriture.

     Ce que propose Escafre est réellement problématique. Son propos est même dangereux, dans la mesure où chaque chien est un individu à part entière et que ses préférences tactiles lui sont propres. Affirmer que tous les chiens aiment les grattouilles et tout le temps, c'est faire preuve de peu de connaissance envers les chiens. Et ce n'est pas rendre service à leurs familles, qui, si elles pensent féliciter par la caresse et sont au contraire désagréables aux yeux du chien, ne vont pas aider leur animal à progresser.

     C'est étrange car André Escafre prône l'individualité de nos chiens et le fait de devoir s'adapter à chaque couple humain/animal et aux personnalités de chacun – ce qui est très vrai. Mais si l'on veut considérer chaque être comme un individu propre, avec une personnalité particulière, on ne peut pas déclarer que le chien, parce qu'il est un chien, aimera nécessairement telle ou telle chose. L'humain aussi est un être social et pourtant il existe des personnes appréciant voire préférant la solitude ou, sans aller jusque là, des personnes peu attirées par les contacts tactiles. Il y a des gens qui n'aiment simplement pas qu'on les câline, même dans le couple ; d'autres n'aiment pas qu'on les touche dans certaines situations, comme en public. Ce n'est pas différent avec nos chiens. Oui, il existe des individus particulièrement affectueux, tout le temps et avec tout le monde. Il y en a d'autres, comme Guenji et plus encore Nagg, qui sont des pots de colle à la maison mais qui n'aiment pas être récompensés par les caresses en balade ou au travail (pendant des années, Guenji s'est dérobée sous la main qui voulait aller au contact). Il y a aussi des profils comme Sangha qui, s'ils sont félicités et touchés, montent dans les tours et bondissent, manquant de nous coller un coup de boule, car la félicitation n'est pas celle espérée ou ne permet pas d'évacuer les émotions ressenties. On peut finalement imagner un chien qui n'apprécierait simplement pas d'être tripoté à chaque bonne action. Djuna, pendant de longues années, a plutôt fait preuve de ce tempérament en savourant le fait d'être couchée relativement près de moi mais jamais contre. Or si l'on adopte ce point de vue des différences entre individus vis à vis de la caresse, il faut en déduire que tout chien ne s'éduquera pas facilement par la seule récompense tactile.

     Quant au fait que M. Escafre soutienne que la nourriture n'est qu'un artifice qui n'autorise pas l'attachement véritable du chien à son humain, j'ai la preuve, tous les jours, qu'il a tort. L'éducateur décrit lui-même un certain nombre de preuves "d'amour" et d'écoute de l'animal ayant été éduqué via sa méthode ; vous serez surpris (ou pas) d'apprendre que mes chiens ont les comportements décrits : suivre l'humain sans aucune directive, surveiller ce qu'il fait même en balade, s'arrêter de lui-même quand l'humain s'arrête, proposer spontanément des choses apprises pour le plaisir de les effectuer et faire plaisir etc. Il est certain que tout chien ayant été éduqué avec bienveillance peut agir de même !

 

La voix : un potentiel à peine soupçonné

 

    Elle est un véritable atout et malheureusement trop peu de personnes s'en servent comme un véritable outil d'apprentissage. Montez dans les aigus, comme pour parler à un bébé, et votre chien saura que vous êtes de bonne humeur et satisfait. Sortez la grosse voix ou faites résonner les graves et Toutou comprendra de suite que vous êtes en colère.

    Pour être efficace avec sa voix, il faut savoir la moduler. Et il faut savoir la moduler vite : passer d'un « hé ! » tranchant en cas d'action indésirable (grave ou dangereuse, car on évitera de s'agacer inutilement) à un « ça c'est bien mon chien ! » tout guilleret dans la seconde, dès que le chien en question propose une alternative intéressante.

     En club canin avec les chiots, je me souviens que les hommes avaient généralement plus de mal à obtenir un retour de leur boule de poils quand on ajoutait des stimulations autour pendant le rappel (une barrière d'humains sympathiques, un autre chiot qui court, une ligne de peluches sur le trajet etc.), tout simplement parce qu'ils éprouvaient des difficultés à se montrer enthousiastes et à accepter le « ridicule » des aigus qui pourtant sont radicalement efficaces. A l'inverse, quand le chiot était élevé par un couple, c'était souvent la femme qui venait nous confier qu'elle n'était "pas respectée" de son chiot dans les mordillements et les « non » en général, parce que la voix grave de l'homme qui se fâche rend celle de la femme nettement moins crédible.

     Moduler sa voix s'apprend. Et même si l'on ne compte pas user de cet organe pour faire peur et "éduquer" (à la bonne heure !), savoir utiliser une voix très douce pour apaiser, une voix aiguë pour motiver, une voix joyeuse pour féliciter - sans abuser car la communication silencieuse est certainement celle qui est la plus fonctionnelle - ouvre de larges portes dans le domaine de l'éducation.

 

Les friandises : un accélérateur du tonnerre mais sous conditions

 

    De fait, je comprends pourquoi André Escafre en est venu à affirmer que la nourriture est un artifice néfaste. Parce qu'elle peut l'être. Je devrais même dire : elle le devient assez souvent. Oui, on peut croiser des gardiens dépassés avec un animal qui « n'en fait qu'à sa tête » si on ne lui présente pas une carotte sous le nez, voire qui n'agit pas mieux malgré la carotte. Ces humains se sont à coup sûr embourbés dans les méandres de l'usage de la friandise...

     La friandise, comme la laisse ou la longe, se gèrent : il faut apprendre à s'en servir convenablement.

    Le secret de la récompense alimentaire, c'est qu'elle doit au plus vite devenir une véritable récompense, pas être utilisée durablement comme un leurre. Escafre parle de marchandage et marchandage il y a si l'on fonctionne ainsi : je veux que mon chien s'asseye, donc je lui montre que j'ai dans la main une gâterie que je lui laisse sous le nez et je lui demande de s'asseoir ; il s'assoit et je récompense. Cette manipulation est purement et simplement du leurre ; verbalement, ça donne : « regarde la jolie carotte mon chien... fais ce que je te dis ET tu pourras l'avoir ! ». Cette méthode peut être le starter de nos apprentissages (puisque guider le chien avec la nourriture est un processus fiable pour le mener à s'asseoir, se coucher, revenir vers vous etc.) mais elle n'est pas saine sur le long terme et, surtout, elle finit par être improductive car, souvent, ni l'humain ni le chien ne se déferont jamais de l'emprise de la nourriture. L'homme en aura toujours besoin pour se faire entendre ; le chien en aura toujours besoin pour exécuter les demandes.

    Néanmoins, ce schéma d'utilisation de la nourriture n'est pas le seul possible : quand la friandise devient une récompense et plus un moyen de négocier un comportement, tout change ! Si je veux que mon chien s'assoit, je vais le lui demander (si et seulement si il maîtrise le vocabulaire) et attendre ; quand il se sera exécuté, je vais lui donner une gâterie qu'il n'avait pas vue avant. Dans ce cas, je ne suis plus en train de troquer ma carotte contre de l'écoute, je propose une interaction qui est récompensée seulement si le chien est à l'écoute. Verbalement, l'échange devient : « tu fais ça ? Super mon chien ! Tiens, c'est pour toi » et le chien se souvient que cette action lui a été profitable et il sera plus à même de la reproduire. Dans le leurre, il n'y a pas forcément de cheminement intellectuel chez le chien : il ne voit que la nourriture sans faire correctement les associations qui nous permettrons de nous en passer.

     Concrètement, nous pouvons suivre cette progression :

  1. Je leurre le comportement désiré (ex : je mets ma main avec friandise au sol pour que mon chien se couche et je libère la friandise quand la position est prise)

  2. Je propose un faux leurre : ma main guide ne contiendra pas de friandise mais le chien, habitué à la suivre, s'exécutera tout de même et je récompenserai systématiquement avec l'autre main.

  3. Progressivement, le geste de la main guide s'atrophie (ex : je ne vais plus mettre ma main au sol mais vers le sol pour que le chien se couche) mais je récompense toujours systématiquement.

  4. Enfin seulement, je vais récompenser aléatoirement : une fois sur deux puis une fois sur trois puis à chaque fois puis une fois sur trois puis une fois sur quatre puis à chaque fois etc. Le chien ne doit pas savoir quand la friandise va tomber mais il continue de produire le comportement car il sait qu'elle finira par arriver. Ce qu'il faut à tout prix éviter, c'est un sevrage graduel qui devient complet (je récompense une fois sur deux, puis sur trois, puis sur quatre etc.) = le chien voit que les friandises se font rares et perd en motivation, ce qui nous oblige à reprendre du début.

NB : J'ai gardé cet exemple, mais il est évident qu'il ne me parle plus, dans la mesure où 1. je ne travaille plus au leurre du tout 2. je n'enseigne plus les "assis/couché", profondément inutiles pour un chien de compagnie.

Cela étant, le système de récompenses reste le même, sauf qu'au lieu de demander au chien de faire quelque chose, je me contente de l'observer ou de créer le contexte dans lequel il pourrait adopter le comportement désiré, dans l'idée de pouvoir le féliciter et le récompenser.

    Pour résumer, notre premier objectif doit être de faire comprendre à notre chien que ce n'est pas parce que nous n'avons apparemment rien à donner qu'il ne sera pas récompensé. C'est cette étape la plupart des personnes en difficulté ayant usé de la nourriture ont sauté ; souvent, on arrête de récompenser quand on pense le comportement acquis sans avoir à présenter de friandise. Il arrive qu'on récompense (rarement et) seulement quand on en a une dans la main. Alors le chien comprend rapidement que quand il n'y a rien, cela ne vaut pas la peine de se concentrer. Il reste cependant volontaire quand la nourriture est présente, ce qui oblige les propriétaires à se munir de friandises tout le temps.

     Passer du leurre au sevrage ne peut pas fonctionner.

    Faire comprendre qu'une récompense invisible n'est pas forcément absente, c'est le point essentiel qui motivera l'écoute du chien tout au long de sa vie.

    La friandise ne doit pas être un besoin, mais un outil et un moyen de partager. En respectant ce processus et en continuant de renforcer régulièrement les apprentissages, notre chien nous écoute sans problème même sans avoir les poches remplies.

Le jeu : une alternative à la friandise

 

     Le jeu peut être une chouette récompense mais gardons à l'esprit qu'il est censé faire plaisir au chien, le motiver ; donc si notre loustic se fiche pas mal des jouets, il ne sert à rien de tenter de le récompenser par ce biais.

     Le jeu, pour être une récompense efficace, doit être un objet désiré dans une main respectée. Pour plus d'informations sur ce point, je vous invite à lire l'article détaillant comment jouer sainement.

     Pour ce qui est de la pratique, il va s'utiliser comme une friandise : en réponse à une demande ou pour féliciter un comportement proposé, l'humain peut proposer à son chien de tirer ou de courir derrière l'objet lancé. Attention : si notre chien est trop excité par le jeu, nous aurons du mal à obtenir la coopération du chien ou à récupérer le jouet.

     Notons que le jouet est indiqué pour récompenser des actions, du mouvement, pas un comportement calme. En tout cas, le jeu n'est clairement pas l'outil le plus simple à utiliser quand on souhaite enseigner des comportements bas en énergie (patienter sur une couverture, rester au panier, attendre quelque part...)

 

     Qu'elle que soit sa nature, la récompense est un indispensable. On dit beaucoup à nos chiens ce qui est "mal" et trop peu ce qui est bien (pour nous). Or nous ne pouvons pas espérer avoir des animaux à notre écoute, qui nous acceptent comme guide de confiance, si nous sommes dans la sanction perpétuelle.

     La récompense, c'est le chien qui la choisit, finalement. Notre « travail » de gardien aimant, c'est de classer les récompenses par intérêt, afin d'en avoir des plus ou moins motivantes en fonction des contextes (à la maison, au calme, les câlins ou les croquettes habituelles peuvent suffire VS dans le jardin, la balle en libre service peut être utilisée VS dehors, au milieu de chiens, de vélos, de papillons, d'odeurs alléchantes, il faudra sortir l'artillerie lourde en terme de nourriture ou jeu !)

     Si vous aviez des réticences à propos des friandises, j'espère vous avoir convaincus qu'une relation saine et une véritable attention sont possibles par ce biais, à condition de prendre quelques précautions. Quoi que vous décidiez d'utiliser pour vous aider dans l'éducation, n'hésitez pas à évoluer ; chaque chien est différent et ce qui a pu fonctionner sur l'un ne sera pas nécessairement aussi efficace sur l'autre.

Margot Brousse - Freed Dogs

Article publié en juin 2019

Revu en janvier 2024

bottom of page