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Le cas de Nash

ou l’histoire du discret manque éducatif devenu criant en un jour

Avant propos :

Il ne sera nullement question d’incriminer les propriétaires de Nashville dans cet article. Le bouvier bernois vit depuis toujours entouré par des chevaux bichonnés et une quantité phénoménale de chats recueillis et traités avec soin.

L’exemple de Nash est répandu en campagne et me semblait pertinent pour illustrer un certain nombre de points essentiels dans le fonctionnement de nos chiens. Les exposer a pour seul objectif d'éviter que votre propre compagnon ne vous amène vers le même chemin.

 

 

     Nash a trois ans et vit dans une campagne assez reculée, au milieu de plein d’animaux auxquels il est sociable, et bénéficie à ce titre d’un vaste terrain à explorer. Ses humains ont des journées chargées mais passent beaucoup de temps dehors et il les accompagne régulièrement. Il est malgré tout promené en libre presque tous les jours, environ une heure.

     Il y a quelques mois, je rencontre Nash chez lui car il s’éloigne doucement du champ d’exploration permis et revient difficilement dans ces cas-là. Chez lui, je fais connaissance avec un chien assez placide, un peu introverti et difficile en friandises. Il ne sera pas forcément facile à motiver sur les rappels mais rien d’insurmontable. Un boubou avec beaucoup d’autonomie au caractère assez classique, pour résumer.

     Suite à ce bilan, quelques séances sont prévues mais aucune date n’est finalement fixée et les mois passent.

     Les mois passent.

    Et un soir, Nash passe une barrière qu’il n’est pas censé traverser et il s’en va. Littéralement, sous les yeux de sa maîtresse. Il est à portée de voix mais il ne réagit pas aux rappels. Il progresse dans le champ, se retrouve chez des voisins puis finit sur la route. Certes, nous sommes en milieu rural mais il commence à faire nuit et Nash est noir… Il s’écoule un temps infini aux yeux de sa famille avant qu’elle ne parvienne à le récupérer.

     Début du cercle vicieux.

     Nash a fait si peur à sa « maman » qu’elle ne le sort plus qu’en longe de cheval. Et même en longe, il tente toujours de partir sous cette barrière et il est parfois dur de le retenir. Le stress s’accumule, à chaque fois qu’on approche du lieu du « drame » ; la tension monte et le ton se durcit (inutilement) ; il n’y a que son « papa » qui, avec une voix plus forte, parvient à le détourner de cet endroit. Mais plus question de le lâcher, ni même sur la propriété puisque tout est ouvert… sauf que Nash a peu connu la laisse et que ses soixante kilos pèsent sur les bras…

     Bienvenue dans une mécanique bien huilée d’anxiété et de nervosité pour toutes les parties.

     Quand je retrouve Nash, il aboie à mon arrivée, saute sur place, se frotte, va bousculer ses gardiens, revient vers moi, se couche puis se relève, tord des fesses partout dans la cuisine et trépigne à l’idée de sortir.

     En quelques mois, mon timide boubou tranquille s’est transformé en énorme golden retriever de travail – celui qui bouge bien et en a plus besoin que son cousin.

     Engrenage.

     En quelques mois, ce chien dont on disait qu’il était "cool" et revenait "plutôt pas mal" est devenu une tête de mule qui tire en laisse, un chien fugueur qui n’a pas de rappel. On l’aime toujours autant mais il est fatigant et stresse tout le monde ; c’est tellement atroce d’imaginer qu’il puisse lui arriver du mal...

     Alors que s’est-il passé ?

     En vérité, pas grand-chose.

     Simplement, un jour, ou plutôt un soir, le contexte a rendu criant le fait que Nash n’avait jamais reçu une vraie éducation.

 

     C’est quelque chose que je vois souvent, vivant moi aussi au milieu de nulle part ou presque. Les chiens sont souvent en liberté autour des habitations, parfois allongés sur la route. Leur rappel est de temps en temps laborieux mais il fonctionne, au bout du compte. Alors pourquoi le travailler ? Ils sont assez autonomes, facilement aboyeurs. Très bien, ils gardent – c’est ce qu’on veut. Ils vivent avec l’humain dehors, suivent le mouvement. Alors pourquoi apprendre à marcher au pied (en laisse) ?

     On ne le fait pas parce qu’on n’en a pas besoin. On n’en ressent pas le besoin, plutôt. Médor semble suffisamment éduqué pour son milieu de vie, en somme.

    Sauf que si son milieu change, si un jour le contexte devient autre… on réalise que finalement Médor n’écoute pas vraiment. Que jusque là, il a toujours fait des choix qui ne posaient pas de problème, donc on croyait avoir des bases d’éducation, un minimum de contrôle. Grande illusion qui s’effondre sous les pieds humains.

     Le fait est que le chien de campagne qui vit dehors avec son maître est habitué aux stimulations « classiques » (pour lui) : voiture de ses propriétaires qui vont et viennent, tracteurs et autres véhicules agricoles, vaches, moutons, poules, éventuellement enfants, chats ou autre(s) chien(s)… Tout ces éléments font partie de son quotidien depuis petit, donc il n’y réagit pas. Il suit l’humain, être d’attachement qui le nourrit et lui fournit des activités souvent enrichissantes (se promener ou travailler avec les animaux). Il est imprégné, socialisé, mais pas pour autant éduqué. Ce qui signifie que le jour où ce chien est confronté à autre chose qu’aux éléments habituels, non seulement on ne peut pas prévoir sa réaction mais on ne peut pas la gérer non plus, puisque le chien lui même est émotionnellement dépassé. Et c’est là qu’il y a danger.

     Autour de chez moi, une des chiennes (socialisées aux animaux de la ferme) a déjà tué un chat, et une groendael (vivant près des vaches et chevaux) a exterminé quelques poules… dont plusieurs sous les yeux de son gentil "papa".

     Le jour où un chien inconnu s’avance sur le chemin. Le jour où une femelle est en chaleur à quelques kilomètres. Le jour où un animal étranger – comme dans les exemples – est rencontré (et vu comme proie). On ne maîtrise rien.

 

    Pour en revenir au cas de Nash, il y a eu cet élément déclencheur palpable ; cette nouvelle odeur ou ce mouvement inattendu de l’autre côté de la barrière jusque-là ignorée. Mais il y avait déjà des signes annonciateurs et des antécédents. La réponse moindre au rappel après ses deux ans (fin de l’adolescence pour les races géantes) était un indice. Mais le vrai responsable, le véritable élément déclencheur, c’était le manque de temps.

     La maison du couple est en travaux et Nash isolé dans la chambre pour ne pas déranger les ouvriers ; il a fallu surveiller les chevaux à cause des derniers événements les concernant, tout en continuant de travailler alors que les journées raccourcissent, et Nash en a pâti. Il y a eu moins de sorties autour de chez lui. Doucement mais sûrement, il a accumulé de l’énergie, des envies de courir plus loin, de bouger davantage, de sentir autre chose, d’autres pistes. Jusqu’au moment où une goutte d’eau (peut-être une bestiole quelconque ou une femelle en chaleur) ont fait déborder le vase et l’ont poussé à s’éloigner de lui-même.

 

     Le manque initial d’éducation a mis la casserole sur le feu sans surveillance.

     Le manque de temps à lui consacrer a poussé le feu plus fort.

     Le stimulus soudain ce soir-là a fait déborder la casserole.

     Et depuis, ça crame en dessous et la plaque est bonne à changer.

 

    Cela implique que pendant des mois, on va chercher à renforcer l’attention, le rappel, tout en étant très vigilant pour ne plus permettre à Nashville de prendre la poudre d’escampette, jusqu’à ce qu’il oublie à quel point il avait été attiré par ce stimulus, là-bas. Le tout en recommençant à lui accorder du temps, à faire attention à ses besoins élémentaires, pour qu’il n’ait plus envie (besoin) d’aller chercher des activités sans ses humains.

     Le problème, c'est que le boubou s'est bien amusé pendant son escapade et, comme il est toujours isolé à cause des travaux, malgré les promenades remises en place, Nashville est encore hyper-stimulé par les extérieurs, les odeurs. Il n'a d'yeux que pour ces éléments et ignore totalement l'humain. Il va falloir beaucoup de temps et de patience pour parvenir à une reconnexion sécurisante.

 

 

     L’histoire de Nash, c’est celle de beaucoup de chiens devenus fugueurs : des chiens qui prennent sur eux une bonne partie de leur adolescence mais qui, un jour, à force d’accumuler de la frustration parce qu’on ne les promène pas ou trop peu, entre autres, se sentent dépassés et répondent au stimulus de trop en passant sous la clôture (ou au dessus). Et à moins de se faire percuter immédiatement par une voiture en sortant, ils se récompensent de cette action en profitant enfin de la liberté tant espérée, ce qui motive le comportement de fugue qui sera répété dès que possible, jusque sous les yeux de sa famille, quelques secondes après avoir été lâché dans le jardin.

     La fugue, c’est une sonnette d’alarme. C’est un chien qui dit qu’il n’a pas ce dont il a besoin en terme d’activités extérieures AVEC l’humain et HORS de chez lui.

 

     C’est pourquoi, sauf cas particulier, vous devez sortir votre compagnon à quatre pattes, tous les jours. Partager du temps avec lui, lui offrir autre chose que votre (bout de) terrain déjà exploré en long, en large et en travers. Même si son rappel n’est pas top, vous avez la possibilité de la longe (jusqu'à 25m !), pour sa sécurité et le respect d'autrui. Même si vous ne la lâchez pas, elle permet à votre chien d’avoir une sortie décente hors de son domaine, d’activer sainement son cerveau, tout en l’apaisant si le lieu est bien choisi.

     C’est pourquoi tout chien devrait être éduqué un minimum : avoir du rappel et/ou savoir ce qu’est une laisse/longe. Il en va de sa sécurité, mais également de celle des autres éléments de notre environnement plus ou moins immédiat.

Point sur le rappel

L’efficacité de notre rappel ne se mesure pas sans stimulation autour. Un chien que vous promenez toujours tout seul sur un sentier désert et qui revient quand vous le rappelez n’a pas forcément un rappel fiable pour autant.

Mettez plutôt votre chien (sociable) avec un congénère (sociable) sur un terrain sécurisé et non familier de préférence. Restez silencieusement à observer l’interaction entre les deux. Puis rappelez.

-> En combien de temps Milou revient-il ? Au bout de combien de rappels ? Revient-il seulement, d’ailleurs ?

-> Est-ce qu’un changement de ton l’interpelle (positif ou négatif – même si ce n’est pas souhaitable) ? Ou un changement de distance (si vous vous approchez ou faites mine de partir) ?

-> Est-ce qu’il jette un coup d’œil vers vous de temps en temps ou vous oublie au point qu’après avoir rappelé vous pouvez aller vous cacher plusieurs minutes sans qu’il se rende compte de votre absence ?

Et si Milou n'est pas très branché "potes" ou se comporte impoliment vis à vis d'eux, on peut faire le test avec tonton Michel : si Milou est lâché en présence de son tonton-gâteaux, sans l'avoir vu au préalable, quelle réponse a-t-on aux questions posées ?

C’est un test à faire. Ce n’est pas dramatique que notre chien ne revienne pas tout le temps dans la seconde, mais il devrait être capable de prêter attention à nous et de revenir dans notre direction, de vérifier que nous sommes toujours dans les parages, même si c’est pour repartir rapidement (a minima). Il devrait aussi être stoppable dans son premier élan, sinon, ça signifie qu'il pourrait s'imposer à des personnes/congénères qui ne veulent pas le voir. Et le respect des autres, il commence ici !

Margot Brousse Freed Dogs

Article publié en mars 2022

Revu en janvier 2024

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